http://www.cadtm.org/15-M-de-l-indignation-a-l-action#haut
15 M : de l’indignation à l’action, retour sur l’émergence d’un mouvement social historique
16 juillet
par
Jérome Duval
En Espagne, l’indignation comme prémices à une
mobilisation d’ampleur couvait déjà bien avant le 15 mai à travers de
nouvelles organisations telles que Juventud sin futuro |1| regroupant des jeunes contre la précarité et la marchandisation de l’éducation ; La Plataforma de Afectados por la Hipoteca-PAH pour le droit constitutionnel à un logement digne et contre les expulsions ; No les votes contre le vote envers les partis majoritaires et corrompus ayant approuvé la censure sur Internet via la loi Sinde, etc. La Coordinadora de Asambleas de Barrios y Pueblos de Madrid,
coordonnait déjà depuis janvier plusieurs assemblées de travailleurs
constituées dans différents quartiers à Madrid principalement pour
impulser une nouvelle grève générale après celle du 29 septembre 2010,
la première contre le gouvernement Zapatero.
Tout semblait donc prêt pour que la « génération Tahrir », de
la place du même nom symbolisant la révolution en Egypte, elle-même
consécutive à la révolution tunisienne, atteigne l’autre rive de la
méditerranée...
15 mai, l’indignation descend dans la rue
C’est maintenant certain, le 15 mai 2011 fera date dans l’histoire.
Après la manifestation du même jour convoquée par le mouvement naissant Democracia Real Ya, plusieurs centaines de participants, s’inspirant de l’occupation historique de la place Tahrir au Caire |2|,
décident de ne pas en rester là et occupent la place centrale de la
Puerta del Sol à Madrid. Leur délogement au petit matin par la police
n’a fait qu’amplifier le phénomène et en quelques heures les « indignés » occupent l’espace public dans tout le pays en criant en pleine campagne électorale : « ils ne nous représentent pas », ou bien « ils l’appellent démocratie et ça ne l’est pas » |3|.
C’est alors encore plus nombreux qu’ils reviennent sur la Puerta del
Sol pour installer leur campement (« acampada ») : cette fois « l’acampadasol »
est née. Aussitôt d’autres villes s’y mettent et bientôt les places
publiques sont occupées dans plus d’une cinquantaine de villes
espagnoles. Pourtant ignoré puis décrié par les médias comme repaire de
dangereux fauteurs de troubles, tantôt hippies tantôt anarchistes
violents, le mouvement prend de l’ampleur, s’enracine et s’organise.
L’effervescence, l’exaltation, la motivation d’un peuple trop longtemps
résigné est à son comble et Democracia Real Ya est débordé par l’ampleur de la mobilisation. Chaque « acampada »
sur chaque place de chaque ville ou village est indépendante et
s’organise à travers ses assemblées générales, elles-mêmes organisées en
multiples commissions (logistique, action, éducation, économie,
internationale, presse, diffusion, etc.). Les manifestations ou actions
sont quotidiennes. Ça grouille et ça donne la chair de poule, un peuple
organisé pour l’action. Comme à chaque fois lors de mouvements sociaux
importants, la conscientisation des participants se fait à toute allure
et a de quoi surprendre le citoyen incrédule. Corruption, démocratie
réelle, loi électorale, justice fiscale, endettement…, tout y passe ou
presque, les informations et connaissances se transmettent à travers les
réunions incessantes et internet. Tout vient confirmer la raison
d’agir. Plus nécessaire que jamais, le mouvement se renforce jour après
jour. Les mobilisations se sont même poursuivies en bravant
l’interdiction émise par le pouvoir à la veille des élections
municipales et régionales du 22 mai où le PP (Parti Populaire,
opposition de droite) a remporté une écrasante victoire (37,5 % pour les
municipales). Cela dit, il est important de relativiser cette victoire
du fait que le nombre des électeurs abstentionnistes, des votes blancs
et nuls est supérieur au nombre de votants ayant choisi le PP. Si l’on
rapporte le nombre de votes pour le PP au nombre des électeurs inscrits,
le score du PP n’est plus que de 24,4 % face à une abstention de
33,7 %. |4|
Chaque « acampada » élabore, non sans difficulté, son cahier
de revendications le plus démocratiquement possible. Toutes ces
exigences politiques se rejoignent plus ou moins et on note parfois une
bonne dose de radicalité. La question de l’audit de la dette est relevée
à Séville, à l’assemblée de Logroño |5|
comme au sein la commission économie de Madrid, il est souvent fait
état de la nécessaire nationalisation des banques, de l’interdiction des
paradis fiscaux ou de la scandaleuse impunité des politiciens
corrompus... Mais la liste des revendications est longue et en
perpétuelle amélioration. L’apprentissage de la démocratie est
fastidieux et tout le monde est conscient qu’un tel mouvement doit se
vivre dans la durée pour concrétiser ses objectifs et les transformer en
victoires. Ce n’est que le commencement d’une longue lutte qui
s’internationalise. Dès le 25 mai, plusieurs dizaines de milliers de
manifestants dans plus d’une vingtaine de villes grecques se mobilisent
sur le même mode d’action que les indignés espagnols, le mouvement ne
cesse de s’amplifier là aussi et s’étend rapidement à une soixantaine de
villes ; les assemblées populaires s’enchaînent devant le parlement
d’Athènes qui a été bloqué plusieurs fois par les manifestants. Pour le
moment sans communes mesures, d’autres initiatives similaires ont lieu
dans d’autres pays et quand la police évacue les campements, des
assemblées populaires se poursuivent malgré tout sur les places
publiques comme en France, en Belgique, au Portugal |6| ou ailleurs…
Le 27 mai, la police catalane prétextant devoir faire place nette en
vue des célébrations de la Ligue des champions prévue pour le lendemain
évacue violement la place de Catalogne. Les plaques d’identification
dissimulées sous les gilets des policiers catalans (« Mossos »)
leur permettent d’agir en toute impunité et on dénombrera plus de 100
blessés et des dizaines de détenus. Tout est embarqué ou jeté, matériel
informatique compris. Face à cela des manifestants affluent
pacifiquement de toutes parts pour reprendre « leur Place ». « Felip
Puig |7|,
démission ! » sera dorénavant un mot d’ordre central maintes fois
scandé. C’est donc malgré tout une victoire : la violence a
décrédibilisé le gouvernement catalan, les indignés poursuivent
l’occupation de la place et la journée se termine sur une manifestation
de plusieurs dizaines de milliers de personnes contre les coupes
austères dans le budget de la santé ou l’éducation. Le campement de
Lleida, une autre grande ville catalane (nord-est), a également été
évacué.
La plupart des villes ont décidé de lever le camp les unes après les
autres afin de décentraliser les assemblées dans les quartiers et
renforcer la participation locale, décision qui incombe à chaque
assemblée générale. Un « point information » subsiste parfois,
comme à Madrid pour divulguer l’information depuis différentes
commissions ou quartiers vers le public. Le 4 et 5 juin, des
porte-parole de plus de 53 villes ayant convergé sur la capitale ont
exposé, lors de la première rencontre « inter-acampada », les
idées et propositions issues des assemblées de quartiers, l’évolution du
mouvement ainsi que les actions qui y sont débattues. Comme convenu
lors de cette rencontre, la mobilisation lors de l’investiture des
maires, conseillers municipaux et députés régionaux a été très forte. Le
9 juin à Valencia les manifestants regroupés devant les Corts
(Parlement régional) pour dénoncer la corruption des nouveaux élus se
sont fait violemment charger par la police, occasionnant plusieurs
blessés dont le député Juan Ponce (du parti Compromis) et cinq détenus.
Le lendemain un concert de casseroles avait lieu devant la Mairie. Le 15
juin, un mois jour pour jour après le début du mouvement, les
manifestants ont encerclé le Parlement à Barcelone obligeant le
président de la « Generalitat » |8|,
Artur Mas, ainsi que la présidente du Parlement, Núria de Gispert, à
rejoindre la Chambre catalane où sont débattues les coupes budgétaires,
en hélicoptère. Atur Mas a évoqué un « usage légitime de la force » face au « chaos » qui s’est soldé par de nombreux blessés. Quand à Núria de Gispert, elle a lancé sans hésiter : « Nous ne méritons pas cet attentat à la démocratie ». Ce fut l’occasion rêvée de décrédibiliser le mouvement pour sa supposée violence
19 juin, démonstration de force populaire et pacifique
Le 19 juin 2011 est aussi une date qui marquera l’histoire des mouvements sociaux. Le peuple, de nouveau uni et pacifique, a « pris la rue »,
dans de nombreuses villes d’environ 35 pays du monde répartis sur
divers continents pour réclamer haut et fort une vraie démocratie
assortie d’une justice digne de son nom, capable de punir les
politiciens corrompus, juger les responsables de la crise et leur faire
payer son coût. De Rabat à Bruxelles, de Lisbonne à Athènes, comme dans
une soixantaine de villes espagnoles, l’indignation est à son comble.
En Espagne la mobilisation semble avoir été au-delà des espérances et
dès le matin, depuis les villages et quartiers, ce sont de nombreuses
colonnes de manifestants qui ont convergé vers la capitale et les
grandes villes, générant des effusions de joie lorsque celles-ci se
rencontraient. Ayant convoqué plus tard dans l’après midi, Barcelone et
Valencia ont pris le relais pour remplir les rues. Mais au-delà de cette
indignation qui couvait déjà depuis longtemps, c’est bien l’émergence
d’un nouveau type de rébellion sociale à laquelle les tenants de l’ordre
politique ont affaire. Un mouvement social sans précédent qui se
revendique non violent, sans étiquette partisane et qui veut montrer
qu’il est possible d’en finir avec un système non-démocratique et
corrompu intrinsèquement générateur d’inégalités et de pauvreté. Le défi
à relever reste énorme pour un mouvement qui s’est ambitieusement
autoproclamé dès le début « Spanish revolution ». Certes, la
route est longue et il ne suffit pas de proclamer la Révolution pour la
vivre. Cependant, passé le premier mois de ce mouvement historique,
force est de constater qu’il porte en lui une essence révolutionnaire :
un changement radical dans la façon même de procéder et de porter la
lutte. Les assemblées se disséminent dans les quartiers et le mouvement
prend une part active aux actions locales : pour soutenir les locataires
menacés d’expulsions, pour une autre gestion de l’argent public en
faveur des quartiers au lieu de grandes manifestations telle que la
Formule 1 à Valencia qui coûte une fortune pour le contribuable, ne lui
profite finalement peu voire pas du tout, et émet une quantité démesurée
de gaz à effet de serre dont on pourrait aisément se passer (trois
jours de mobilisation ont été organisés en parallèle à la F1 de Valencia
les 24, 25 et 26 juin), etc.
La victoire sociale de ce 19 juin 2011, consiste en premier lieu a
avoir réussi à démonter le discours médiatique dominant dénonçant le
caractère prétendument violent des manifestants là où on ne voyait que
la violence de la police, infiltrée ou non, ou de quelques individus non
représentatifs du mouvement. Cette stratégie bien huilée du pouvoir
politique et des médias aux ordres afin de fracturer le mouvement est
sans cesse répétée dès qu’il y a danger pour le système. Cela permet de
diviser le mouvement entre pseudo-violents et non-violents, et surtout
de générer un débat public afin d’éluder la vraie question de la
violence extrême et quotidienne, celle intrinsèque au système
capitaliste lui-même, celle qui n’hésite pas à réprimer des citoyens
usant de leur droit à manifester pacifiquement, cette violence qui
condamne à la misère la majorité de la population alors qu’une petite
minorité poursuit sa course aux profits en temps de crises. Mais ce 19
juin, la diatribe médiatique des politiciens dénonçant des actes
barbares portant atteinte à la « démocratie » a été annihilée par
ce soulèvement populaire de première importance ; les masses ont pris
la rue de manière pacifique, contrôlant les éventuelles infiltrations de
policiers en civil. La violence, arme ultime du pouvoir politique pour
casser tout mouvement social semble, du moins pour le moment, avoir été
écartée.
Ensuite, alors que beaucoup pariaient sur un essoufflement et un
manque de perspectives à long terme, cette démonstration de force du 19
juin renforce l’idée d’un mouvement qui s’inscrit dans la durée, porteur
de profondes revendications, en tête desquelles figure la dénonciation
du Pacte de l’euro, véritable « contre-révolution silencieuse »
totalement occultée par les médias dominants. Dès le lendemain de la
manifestation, le 20 juin, une marche de plus de 500 km est partie de
Valencia pour rejoindre Madrid en 34 jours durant lesquels les marcheurs
visiteront 29 agglomérations où ils expliqueront en quoi consiste le
mouvement du 15 mai (15M) et participeront à chaque étape aux assemblées
populaires. En cours de route, plusieurs points de rencontre sont
prévus pour d’autres marches qui s’élancent depuis Vigo, Pontevedra,
Orense, Santiago, Cadiz… et doivent converger le 23 juillet à Madrid. Un
calendrier de mobilisation se dessine avec comme date centrale le 15
octobre, journée de mobilisation internationale. Le mouvement ne fait
que commencer, le peuple veut une démocratie réelle, le pouvoir au
peuple maintenant
Notes
|1| Lire le manifeste de Juventud sin Futuro : http://www.juventudsinfuturo.net/se...
|2|
Après 18 jours de rébellion, le mouvement révolutionnaire égyptien
réussit à faire tomber le dictateur Moubarak qui démissionne le 11
février et remet le pouvoir aux forces armées du pays.
|3| “No nos representan”, “lo llaman democracia y no lo es”
|4| Voir les résultats publiés par El País, http://resultados.elpais.com/elecci...
|5| Dépêche Europa Press, 16 juin 2010 : 15M-. Asamblea Logroño exige un referéndum vinculante ante "un eventual rescate", http://www.europapress.es/la-rioja/...
|6| Le campement de la place Rossio à Lisbonne a été évacué par la police le 4 juin 2011.
|7|
Felip Puig est conseillé à l’intérieur du gouvernement catalan et
responsable de la violence inouïe de cette tentative d’expulsion.
|8|
La Generalitat est l’organisation politique de la Catalogne qui
comprend le Parlement, la Présidence et les Ministères du gouvernement
de Catalogne. Artur Mas a été élu président du gouvernement de
Catalogne. Son parti, Convergence et Union (Convergència i Unió en
catalan, abrégé en CiU) n’a pourtant reçu l’appuie que de 14.9% de
l’électorat. Lire ¿Quién es antidemocrático ?, Vicenç Navarro, juin
2011, http://www.vnavarro.org/?p=5832
15 M : de l’indignation à l’action, retour sur l’émergence d’un mouvement social historique
16 juillet
par
Jérome Duval
En Espagne, l’indignation comme prémices à une
mobilisation d’ampleur couvait déjà bien avant le 15 mai à travers de
nouvelles organisations telles que Juventud sin futuro |1| regroupant des jeunes contre la précarité et la marchandisation de l’éducation ; La Plataforma de Afectados por la Hipoteca-PAH pour le droit constitutionnel à un logement digne et contre les expulsions ; No les votes contre le vote envers les partis majoritaires et corrompus ayant approuvé la censure sur Internet via la loi Sinde, etc. La Coordinadora de Asambleas de Barrios y Pueblos de Madrid,
coordonnait déjà depuis janvier plusieurs assemblées de travailleurs
constituées dans différents quartiers à Madrid principalement pour
impulser une nouvelle grève générale après celle du 29 septembre 2010,
la première contre le gouvernement Zapatero.
Tout semblait donc prêt pour que la « génération Tahrir », de
la place du même nom symbolisant la révolution en Egypte, elle-même
consécutive à la révolution tunisienne, atteigne l’autre rive de la
méditerranée...
15 mai, l’indignation descend dans la rue
C’est maintenant certain, le 15 mai 2011 fera date dans l’histoire.
Après la manifestation du même jour convoquée par le mouvement naissant Democracia Real Ya, plusieurs centaines de participants, s’inspirant de l’occupation historique de la place Tahrir au Caire |2|,
décident de ne pas en rester là et occupent la place centrale de la
Puerta del Sol à Madrid. Leur délogement au petit matin par la police
n’a fait qu’amplifier le phénomène et en quelques heures les « indignés » occupent l’espace public dans tout le pays en criant en pleine campagne électorale : « ils ne nous représentent pas », ou bien « ils l’appellent démocratie et ça ne l’est pas » |3|.
C’est alors encore plus nombreux qu’ils reviennent sur la Puerta del
Sol pour installer leur campement (« acampada ») : cette fois « l’acampadasol »
est née. Aussitôt d’autres villes s’y mettent et bientôt les places
publiques sont occupées dans plus d’une cinquantaine de villes
espagnoles. Pourtant ignoré puis décrié par les médias comme repaire de
dangereux fauteurs de troubles, tantôt hippies tantôt anarchistes
violents, le mouvement prend de l’ampleur, s’enracine et s’organise.
L’effervescence, l’exaltation, la motivation d’un peuple trop longtemps
résigné est à son comble et Democracia Real Ya est débordé par l’ampleur de la mobilisation. Chaque « acampada »
sur chaque place de chaque ville ou village est indépendante et
s’organise à travers ses assemblées générales, elles-mêmes organisées en
multiples commissions (logistique, action, éducation, économie,
internationale, presse, diffusion, etc.). Les manifestations ou actions
sont quotidiennes. Ça grouille et ça donne la chair de poule, un peuple
organisé pour l’action. Comme à chaque fois lors de mouvements sociaux
importants, la conscientisation des participants se fait à toute allure
et a de quoi surprendre le citoyen incrédule. Corruption, démocratie
réelle, loi électorale, justice fiscale, endettement…, tout y passe ou
presque, les informations et connaissances se transmettent à travers les
réunions incessantes et internet. Tout vient confirmer la raison
d’agir. Plus nécessaire que jamais, le mouvement se renforce jour après
jour. Les mobilisations se sont même poursuivies en bravant
l’interdiction émise par le pouvoir à la veille des élections
municipales et régionales du 22 mai où le PP (Parti Populaire,
opposition de droite) a remporté une écrasante victoire (37,5 % pour les
municipales). Cela dit, il est important de relativiser cette victoire
du fait que le nombre des électeurs abstentionnistes, des votes blancs
et nuls est supérieur au nombre de votants ayant choisi le PP. Si l’on
rapporte le nombre de votes pour le PP au nombre des électeurs inscrits,
le score du PP n’est plus que de 24,4 % face à une abstention de
33,7 %. |4|
Chaque « acampada » élabore, non sans difficulté, son cahier
de revendications le plus démocratiquement possible. Toutes ces
exigences politiques se rejoignent plus ou moins et on note parfois une
bonne dose de radicalité. La question de l’audit de la dette est relevée
à Séville, à l’assemblée de Logroño |5|
comme au sein la commission économie de Madrid, il est souvent fait
état de la nécessaire nationalisation des banques, de l’interdiction des
paradis fiscaux ou de la scandaleuse impunité des politiciens
corrompus... Mais la liste des revendications est longue et en
perpétuelle amélioration. L’apprentissage de la démocratie est
fastidieux et tout le monde est conscient qu’un tel mouvement doit se
vivre dans la durée pour concrétiser ses objectifs et les transformer en
victoires. Ce n’est que le commencement d’une longue lutte qui
s’internationalise. Dès le 25 mai, plusieurs dizaines de milliers de
manifestants dans plus d’une vingtaine de villes grecques se mobilisent
sur le même mode d’action que les indignés espagnols, le mouvement ne
cesse de s’amplifier là aussi et s’étend rapidement à une soixantaine de
villes ; les assemblées populaires s’enchaînent devant le parlement
d’Athènes qui a été bloqué plusieurs fois par les manifestants. Pour le
moment sans communes mesures, d’autres initiatives similaires ont lieu
dans d’autres pays et quand la police évacue les campements, des
assemblées populaires se poursuivent malgré tout sur les places
publiques comme en France, en Belgique, au Portugal |6| ou ailleurs…
Le 27 mai, la police catalane prétextant devoir faire place nette en
vue des célébrations de la Ligue des champions prévue pour le lendemain
évacue violement la place de Catalogne. Les plaques d’identification
dissimulées sous les gilets des policiers catalans (« Mossos »)
leur permettent d’agir en toute impunité et on dénombrera plus de 100
blessés et des dizaines de détenus. Tout est embarqué ou jeté, matériel
informatique compris. Face à cela des manifestants affluent
pacifiquement de toutes parts pour reprendre « leur Place ». « Felip
Puig |7|,
démission ! » sera dorénavant un mot d’ordre central maintes fois
scandé. C’est donc malgré tout une victoire : la violence a
décrédibilisé le gouvernement catalan, les indignés poursuivent
l’occupation de la place et la journée se termine sur une manifestation
de plusieurs dizaines de milliers de personnes contre les coupes
austères dans le budget de la santé ou l’éducation. Le campement de
Lleida, une autre grande ville catalane (nord-est), a également été
évacué.
La plupart des villes ont décidé de lever le camp les unes après les
autres afin de décentraliser les assemblées dans les quartiers et
renforcer la participation locale, décision qui incombe à chaque
assemblée générale. Un « point information » subsiste parfois,
comme à Madrid pour divulguer l’information depuis différentes
commissions ou quartiers vers le public. Le 4 et 5 juin, des
porte-parole de plus de 53 villes ayant convergé sur la capitale ont
exposé, lors de la première rencontre « inter-acampada », les
idées et propositions issues des assemblées de quartiers, l’évolution du
mouvement ainsi que les actions qui y sont débattues. Comme convenu
lors de cette rencontre, la mobilisation lors de l’investiture des
maires, conseillers municipaux et députés régionaux a été très forte. Le
9 juin à Valencia les manifestants regroupés devant les Corts
(Parlement régional) pour dénoncer la corruption des nouveaux élus se
sont fait violemment charger par la police, occasionnant plusieurs
blessés dont le député Juan Ponce (du parti Compromis) et cinq détenus.
Le lendemain un concert de casseroles avait lieu devant la Mairie. Le 15
juin, un mois jour pour jour après le début du mouvement, les
manifestants ont encerclé le Parlement à Barcelone obligeant le
président de la « Generalitat » |8|,
Artur Mas, ainsi que la présidente du Parlement, Núria de Gispert, à
rejoindre la Chambre catalane où sont débattues les coupes budgétaires,
en hélicoptère. Atur Mas a évoqué un « usage légitime de la force » face au « chaos » qui s’est soldé par de nombreux blessés. Quand à Núria de Gispert, elle a lancé sans hésiter : « Nous ne méritons pas cet attentat à la démocratie ». Ce fut l’occasion rêvée de décrédibiliser le mouvement pour sa supposée violence
19 juin, démonstration de force populaire et pacifique
Le 19 juin 2011 est aussi une date qui marquera l’histoire des mouvements sociaux. Le peuple, de nouveau uni et pacifique, a « pris la rue »,
dans de nombreuses villes d’environ 35 pays du monde répartis sur
divers continents pour réclamer haut et fort une vraie démocratie
assortie d’une justice digne de son nom, capable de punir les
politiciens corrompus, juger les responsables de la crise et leur faire
payer son coût. De Rabat à Bruxelles, de Lisbonne à Athènes, comme dans
une soixantaine de villes espagnoles, l’indignation est à son comble.
En Espagne la mobilisation semble avoir été au-delà des espérances et
dès le matin, depuis les villages et quartiers, ce sont de nombreuses
colonnes de manifestants qui ont convergé vers la capitale et les
grandes villes, générant des effusions de joie lorsque celles-ci se
rencontraient. Ayant convoqué plus tard dans l’après midi, Barcelone et
Valencia ont pris le relais pour remplir les rues. Mais au-delà de cette
indignation qui couvait déjà depuis longtemps, c’est bien l’émergence
d’un nouveau type de rébellion sociale à laquelle les tenants de l’ordre
politique ont affaire. Un mouvement social sans précédent qui se
revendique non violent, sans étiquette partisane et qui veut montrer
qu’il est possible d’en finir avec un système non-démocratique et
corrompu intrinsèquement générateur d’inégalités et de pauvreté. Le défi
à relever reste énorme pour un mouvement qui s’est ambitieusement
autoproclamé dès le début « Spanish revolution ». Certes, la
route est longue et il ne suffit pas de proclamer la Révolution pour la
vivre. Cependant, passé le premier mois de ce mouvement historique,
force est de constater qu’il porte en lui une essence révolutionnaire :
un changement radical dans la façon même de procéder et de porter la
lutte. Les assemblées se disséminent dans les quartiers et le mouvement
prend une part active aux actions locales : pour soutenir les locataires
menacés d’expulsions, pour une autre gestion de l’argent public en
faveur des quartiers au lieu de grandes manifestations telle que la
Formule 1 à Valencia qui coûte une fortune pour le contribuable, ne lui
profite finalement peu voire pas du tout, et émet une quantité démesurée
de gaz à effet de serre dont on pourrait aisément se passer (trois
jours de mobilisation ont été organisés en parallèle à la F1 de Valencia
les 24, 25 et 26 juin), etc.
La victoire sociale de ce 19 juin 2011, consiste en premier lieu a
avoir réussi à démonter le discours médiatique dominant dénonçant le
caractère prétendument violent des manifestants là où on ne voyait que
la violence de la police, infiltrée ou non, ou de quelques individus non
représentatifs du mouvement. Cette stratégie bien huilée du pouvoir
politique et des médias aux ordres afin de fracturer le mouvement est
sans cesse répétée dès qu’il y a danger pour le système. Cela permet de
diviser le mouvement entre pseudo-violents et non-violents, et surtout
de générer un débat public afin d’éluder la vraie question de la
violence extrême et quotidienne, celle intrinsèque au système
capitaliste lui-même, celle qui n’hésite pas à réprimer des citoyens
usant de leur droit à manifester pacifiquement, cette violence qui
condamne à la misère la majorité de la population alors qu’une petite
minorité poursuit sa course aux profits en temps de crises. Mais ce 19
juin, la diatribe médiatique des politiciens dénonçant des actes
barbares portant atteinte à la « démocratie » a été annihilée par
ce soulèvement populaire de première importance ; les masses ont pris
la rue de manière pacifique, contrôlant les éventuelles infiltrations de
policiers en civil. La violence, arme ultime du pouvoir politique pour
casser tout mouvement social semble, du moins pour le moment, avoir été
écartée.
Ensuite, alors que beaucoup pariaient sur un essoufflement et un
manque de perspectives à long terme, cette démonstration de force du 19
juin renforce l’idée d’un mouvement qui s’inscrit dans la durée, porteur
de profondes revendications, en tête desquelles figure la dénonciation
du Pacte de l’euro, véritable « contre-révolution silencieuse »
totalement occultée par les médias dominants. Dès le lendemain de la
manifestation, le 20 juin, une marche de plus de 500 km est partie de
Valencia pour rejoindre Madrid en 34 jours durant lesquels les marcheurs
visiteront 29 agglomérations où ils expliqueront en quoi consiste le
mouvement du 15 mai (15M) et participeront à chaque étape aux assemblées
populaires. En cours de route, plusieurs points de rencontre sont
prévus pour d’autres marches qui s’élancent depuis Vigo, Pontevedra,
Orense, Santiago, Cadiz… et doivent converger le 23 juillet à Madrid. Un
calendrier de mobilisation se dessine avec comme date centrale le 15
octobre, journée de mobilisation internationale. Le mouvement ne fait
que commencer, le peuple veut une démocratie réelle, le pouvoir au
peuple maintenant
Notes
|1| Lire le manifeste de Juventud sin Futuro : http://www.juventudsinfuturo.net/se...
|2|
Après 18 jours de rébellion, le mouvement révolutionnaire égyptien
réussit à faire tomber le dictateur Moubarak qui démissionne le 11
février et remet le pouvoir aux forces armées du pays.
|3| “No nos representan”, “lo llaman democracia y no lo es”
|4| Voir les résultats publiés par El País, http://resultados.elpais.com/elecci...
|5| Dépêche Europa Press, 16 juin 2010 : 15M-. Asamblea Logroño exige un referéndum vinculante ante "un eventual rescate", http://www.europapress.es/la-rioja/...
|6| Le campement de la place Rossio à Lisbonne a été évacué par la police le 4 juin 2011.
|7|
Felip Puig est conseillé à l’intérieur du gouvernement catalan et
responsable de la violence inouïe de cette tentative d’expulsion.
|8|
La Generalitat est l’organisation politique de la Catalogne qui
comprend le Parlement, la Présidence et les Ministères du gouvernement
de Catalogne. Artur Mas a été élu président du gouvernement de
Catalogne. Son parti, Convergence et Union (Convergència i Unió en
catalan, abrégé en CiU) n’a pourtant reçu l’appuie que de 14.9% de
l’électorat. Lire ¿Quién es antidemocrático ?, Vicenç Navarro, juin
2011, http://www.vnavarro.org/?p=5832