Anonymous : derrière le masque, des hackers révolutionnaires
Ils n'ont que trois ans et ils font peur aux plus grandes puissances, des Etats-Unis à l'Iran en passant par le Royaume-Uni, mais aussi aux firmes multinationales. Qui sont les hackers de « Anonymous », ces pirates informatiques experts dans l'art de mettre hors-service un site web ?
Au fil des cyber-attaques, ce mouvement aux contours flous, énième progéniture de la culture web, entend bien faire passer un message : la défense de la liberté d'expression par tous les moyens, même illégaux.
En défendant les fuites de documents confidentiels de WikiLeaks, ou en s'en prenant tant aux gouvernements tunisien et égyptien pendant les révolutions dans ces pays qu'à Hadopi en France, les « Anons » s'imposent dans le débat public. Mais leur défi des lois leur vaut d'être surveillé et traqués par les polices du monde entier.
Les « plus beaux coups » des Anonymous
► La scientologie
En 2008, les Anonymous apparaissent aux yeux d'un – relatif – grand public en faisant une déclaration de guerre tout aussi solennelle qu'ambitieuse à la scientologie. « C'est probablement ce qui a popularisé les Anonymous », selon Guillaume Champeau, rédacteur en chef du journal en ligne Numerama.com, interrogé sur le plateau d'Arrêt Sur Images. (Voir la vidéo de la déclaration de guerre)
► Wikileaks (opération Riposte)
Mais c'est en soutenant WikiLeaks que les Anonymous sont vraiment devenus des poils-à-gratter du Web de premier rang. Alors que les fuites des documents confidentiels avaient semé la zizanie dans les relations internationales, les entreprises proches de WikiLeaks (Paypal, MasterCard et Visa) ont dû couper les ponts avec le site web dirigé par Julian Assange. Privé de ressources financières au faîte de sa gloire, le site WikiLeaks a alors reçu l'aide des Anonymous, décidés à venger ces autres partisans de la liberté totale de l'information.
Entre-temps, les pirates d'Anonymous avaient croisé le fer avec les ayants droits des studios hollywoodiens, au nom du droit au partage de fichiers. Une parfaite illustration de la guerre entre les internautes et l'industrie du cinéma ou de de la chanson, sous le nom de code opération Payback.
► Le printemps arabe
Les révolutions arabes ont permis aux hackers de jouer un rôle tout aussi politique, mais plus consensuel. En soutien aux révolutionnaires, les pirates ont lancé des attaques contre les serveurs gouvernementaux en Tunisie puis en Egypte.
Les Anonymous s'intéressent-ils à la France ?
Un compte Twitter se présentant comme Anonymous France existe, et plusieurs discussions sur Internet d'« hacktivistes » français ont été découvertes.
Mais le seul fait d'arme majeur dans l'Hexagone des pirates Anonymous est la menace d'exclure d'Internet Frédéric Lefebvre, alors porte-parole de l'UMP, plaisanterie qui n'avait été en réalité qu'une promotion médiatique pour le mouvement, et sa lutte contre la secte scientologue. Juste un « LOL » donc. Sauf pour Frédéric Lefebvre.
Pourquoi ce masque ?
Le seul « visage public » des Anonymous est ce masque, qui est initialement celui qui cache le visage de V, le héros de la bande dessinée « V pour Vendetta ». Le film du même nom (2006) a encore popularisé ce masque rieur.
Ce personnage, très cultivé et anarchiste, cherche à libérer son peuple de l'oppresion d'un gouvernement autoritaire, en éveillant les citoyens, mais aussi sans hésiter à user de la violence. (Voir un extrait du film « V pour Vendetta »)
Mais la référence à ce masque semble tenir davantage du vague clin d'œil que de la profession de foi politique.
Peut-on rattacher les Anonymous à une idéologie ?
Nihilistes, anarchistes, les Anonymous ? Leur discours glorifie la liberté d'expression, conspue l'autoritarisme, refuse les compromis. Le ton de leurs communiqués est comme posé et exalté à la fois :
« Anonymous a fait son choix. Nous prendrons parti. Nous apporterons notre aide aux personnes qui luttent pour la liberté d'expression, de rassemblement, et de communication – les droits civiques essentiels pour les peuples afin de construire leurs propres futurs.
Nous ne pardonnons pas.
Nous n'oublions pas.
Redoutez-nous. »
Les Anonymous seraient-ils de romantiques révolutionnaires épris de liberté, des guévaristes du Web 2.0 ? Un sympathisant français de ce mouvement, qui requiert évidemment l'anonymat, a un tout autre avis :
« Je trouve que ce genre de mouvement, qui utilise beaucoup le LOL et la rhétorique d'un langage absurde et violent, ressemble beaucoup au mouvement dadaïste de l'entre-deux guerres. »
Le LOL, tout un programme ? La déclaration de guerre à la scientologie se fait au nom de [leur] amusement, tandis que les plantages de sites web sont considérés par ces « hacktivistes » comme des sit-in numériques, l'équivalent virtuel d'une simple manifestation. Une blague ou un coup de gueule sans conséquence.
Un communiqué des Anonymous est d'ailleurs venu expliquer que le vol de coordonnées bancaires, que Sony leur avait reproché, ne rentrait pas dans leurs pratiques. Les Anonymous cultivent l'image de pirates s'attaquant au FMI en soutien à la Grèce, aux multinationales, comme dernièrement Apple, plutôt qu'aux particuliers.
Les Anonymous ont-ils un chef ?
La question n'est pas tranchée : généralement, plus on est partisan des Anonymous, plus on répond par la négative. A contrario, les adversaires de cette rhétorique d'« agit-prop' » soulignent la présence probable sinon d'un chef, du moins de leaders influents.
De fait, ils n'ont pas besoin de chef pour mener leurs attaques.
Beaucoup pensent donc qu'Anonymous est plus un état d'esprit et une façon de procéder qu'une structure avec une liste de membres et une division du travail en interne.
Comment agissent-ils ?
Pour qu'un site de leur choix tombe hors service, il « suffit » que beaucoup de personnes s'y connectent en même temps. Pour faciliter ce genre de coordination, les Anonymous utilisent un logiciel, appelé Loic, qui peut amplifier leurs requêtes sur le Web. Saturé par cet excès de transfert de données, le site plante. Seulement 3 000 personnes ainsi équipées auraient suffi pour l'opération Riposte contre PayPal, MasterCard et Visa.
Le plus dur est simplement de se concerter, ce qu'ils parviennent à faire quelque fois sur des sites de partage d'images comme 4chan, ou sur des protocoles IRC, messageries instantanées familières chez les geeks.
Quelles critiques reçoivent-ils ?
On leur reproche souvent l'utilisation de jeunes sans compétence et vulnérables. On les appelle des « skiddies ». Ce sont des jeunes, curieux de bidouiller sur leur ordinateur, qui se laissent convaincre que devenir pirate est facile. Ils reçoivent une notice toute prête, et partent à l'assaut de tel ou tel site… Mais ils sont souvent facilement repérables, faute de savoir masquer leur connexion.
C'est ainsi que la presse a pu faire sensation avec la découverte (par le FBI) en Auvergne d'un « cerveau des Anonymous » de 15 ans seulement.
Photo : des Anonymous lors d'une manifestation contre la scientologie, le 16 janvier 2010 en Floride (Anonymous9000/Flickr/CC).
sources : rue 89
http://www.rue89.com/explicateur/2011/07/09/sous-le-masque-des-anonymous-ces-hackers-revolutionnaires-213144
date 9 juillet 2011