En Éthiopie, France Télécom accompagne la censure d’Internet
par NICOLAS HENIN, Addis-Abeba, le 10/6/12 - 14 H 19 mis à jour le 10/6/12 - 15 H 00
L’information serait restée confidentielle sans la vigilance des membres de Tor, un collectif d’activistes qui lutte contre la censure sur Internet. Le 31 mai, ils publient sur leur site le graphique des connexions directes à Internet depuis l’Éthiopie.
La courbe (1) est édifiante. Soudainement, au milieu du mois, elle s’effondre : pratiquement plus aucune requête de site passée par un internaute éthiopien n’arrive directement à son destinataire. Elles sont toutes interceptées, détournées vers des serveurs tiers qui les examinent et les trient.
Selon deux spécialistes qui ont analysé pour le compte de Tor le détournement de ce trafic, il n’y a qu’une explication possible : l’Éthiopie a généralisé le « Deep packet inspection » (DPI).
ARME DE SURVEILLANCE
Le DPI est l’arme ultime du contrôle d’Internet qui consiste à scruter le contenu de chaque paquet d’information échangé sur le réseau. C’est une arme de censure redoutable, puisqu’elle permet, mieux qu’un blocage d’adresse Internet, d’interdire l’accès à un site.
C’est aussi une arme de surveillance imparable qui permet de capturer toutes les informations échangées, depuis le contenu des e-mails jusqu’aux mots de passe.
Seuls les pays les plus répressifs en matière de contrôle d’Internet l’utilisent : l’Iran, la Chine, le Kazakhstan. Bull
avait vendu ce service à la Libye de Kadhafi.
Le scandale avait été tel que le groupe informatique avait préféré se séparer de sa filiale incriminée, Amésys, plutôt que de continuer de supporter les dégâts pour son image.
« ON A RIEN A VOIR LA-DEDANS »
Dilemme : en Éthiopie, depuis presque deux ans, c’est France Télécom qui assure la direction de la compagnie publique Ethio Telecom, qui détient le monopole dans le pays.
Le PDG de la société éthiopienne, Jean-Michel Latute, détaché de France Télécom, confirme la mise en place du procédé. « Ca a été une décision ‘des ministères’, dit-il. On n’a rien à voir là-dedans. »
Mais c’est pour s’en féliciter pour ses propres besoins : « On utilisera une partie de ce service pour contrôler notre bande passante. Ca nous aidera à éviter que des clients abusent, en téléchargeant pleins de films, par exemple.
C’est un instrument très utile. »
Un argument qui semble assez spécieux, alors qu’en Éthiopie, l’Internet est cher et exclusivement payé à l’usage, empêchant tout abus. En tout état de cause, les connexions sont si lentes qu’il faudrait des semaines pour télécharger le moindre film…
BROUILLAGE DES MEDIAS
Cette mesure confirme surtout le virage sécuritaire amorcé par le pays, où plusieurs journalistes critiques
sont incarcérés au titre d’une nouvelle loi antiterroriste.
Les sites de médias jugés hostiles, comme Voice of America ou Deutsche Welle, sont fréquemment bloqués. La législation sur les télécoms punit de 15 ans de prison l’usage de Skype, qui utilise un protocole très difficile à intercepter.
Le ministre des Télécommunications, Gebremikael Debretsion, est opportunément l’ancien patron des services de renseignements.
Une précédente fonction au cours de laquelle il avait gagné le surnom de « jammer » pour avoir développé une capacité de brouillage des médias internationaux, radios sur ondes courtes ou télévisions par satellite.
Interrogé sur l’introduction du DPI en Éthiopie, il a indiqué à La Croix n’avoir « pas le temps » de répondre.
(1) https://blog.torproject.org/blog/ethiopia-introduces-deep-packet-inspection
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VINGT ANS DE POUVOIR SANS PARTAGE
Depuis la chute en 1991 du régime de Mengistu Haile Mariam, responsable de la « terreur rouge » et d’innombrables atrocités, l’Éthiopie est dirigée par Meles Zenawi. Il a assis un pouvoir sans partage, s’attirant les reproches des défenseurs des droits de l’homme.
Sur le plan économique, la libéralisation de l’économie a permis de générer une croissance de 10 % par an depuis près de dix ans. Ce qui a permis l’apparition d’une classe moyenne alimentée par les fonds de la diaspora, mais aussi très dépendante du pouvoir, puisque le gouvernement reste le principal donneur d’ordres.
Source : http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/En-Ethiopie-France-Telecom-accompagne-la-censure-d-Internet-_NP_-2012-06-10-816727
par NICOLAS HENIN, Addis-Abeba, le 10/6/12 - 14 H 19 mis à jour le 10/6/12 - 15 H 00
- Le régime éthiopien a mis en place un contrôle total d’Internet utilisant une technologie très intrusive.
- France Télécom, qui contrôle l’opérateur unique, dit s’en satisfaire.
L’information serait restée confidentielle sans la vigilance des membres de Tor, un collectif d’activistes qui lutte contre la censure sur Internet. Le 31 mai, ils publient sur leur site le graphique des connexions directes à Internet depuis l’Éthiopie.
La courbe (1) est édifiante. Soudainement, au milieu du mois, elle s’effondre : pratiquement plus aucune requête de site passée par un internaute éthiopien n’arrive directement à son destinataire. Elles sont toutes interceptées, détournées vers des serveurs tiers qui les examinent et les trient.
Selon deux spécialistes qui ont analysé pour le compte de Tor le détournement de ce trafic, il n’y a qu’une explication possible : l’Éthiopie a généralisé le « Deep packet inspection » (DPI).
ARME DE SURVEILLANCE
Le DPI est l’arme ultime du contrôle d’Internet qui consiste à scruter le contenu de chaque paquet d’information échangé sur le réseau. C’est une arme de censure redoutable, puisqu’elle permet, mieux qu’un blocage d’adresse Internet, d’interdire l’accès à un site.
C’est aussi une arme de surveillance imparable qui permet de capturer toutes les informations échangées, depuis le contenu des e-mails jusqu’aux mots de passe.
Seuls les pays les plus répressifs en matière de contrôle d’Internet l’utilisent : l’Iran, la Chine, le Kazakhstan. Bull
avait vendu ce service à la Libye de Kadhafi.
Le scandale avait été tel que le groupe informatique avait préféré se séparer de sa filiale incriminée, Amésys, plutôt que de continuer de supporter les dégâts pour son image.
« ON A RIEN A VOIR LA-DEDANS »
Dilemme : en Éthiopie, depuis presque deux ans, c’est France Télécom qui assure la direction de la compagnie publique Ethio Telecom, qui détient le monopole dans le pays.
Le PDG de la société éthiopienne, Jean-Michel Latute, détaché de France Télécom, confirme la mise en place du procédé. « Ca a été une décision ‘des ministères’, dit-il. On n’a rien à voir là-dedans. »
Mais c’est pour s’en féliciter pour ses propres besoins : « On utilisera une partie de ce service pour contrôler notre bande passante. Ca nous aidera à éviter que des clients abusent, en téléchargeant pleins de films, par exemple.
C’est un instrument très utile. »
Un argument qui semble assez spécieux, alors qu’en Éthiopie, l’Internet est cher et exclusivement payé à l’usage, empêchant tout abus. En tout état de cause, les connexions sont si lentes qu’il faudrait des semaines pour télécharger le moindre film…
BROUILLAGE DES MEDIAS
Cette mesure confirme surtout le virage sécuritaire amorcé par le pays, où plusieurs journalistes critiques
sont incarcérés au titre d’une nouvelle loi antiterroriste.
Les sites de médias jugés hostiles, comme Voice of America ou Deutsche Welle, sont fréquemment bloqués. La législation sur les télécoms punit de 15 ans de prison l’usage de Skype, qui utilise un protocole très difficile à intercepter.
Le ministre des Télécommunications, Gebremikael Debretsion, est opportunément l’ancien patron des services de renseignements.
Une précédente fonction au cours de laquelle il avait gagné le surnom de « jammer » pour avoir développé une capacité de brouillage des médias internationaux, radios sur ondes courtes ou télévisions par satellite.
Interrogé sur l’introduction du DPI en Éthiopie, il a indiqué à La Croix n’avoir « pas le temps » de répondre.
(1) https://blog.torproject.org/blog/ethiopia-introduces-deep-packet-inspection
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VINGT ANS DE POUVOIR SANS PARTAGE
Depuis la chute en 1991 du régime de Mengistu Haile Mariam, responsable de la « terreur rouge » et d’innombrables atrocités, l’Éthiopie est dirigée par Meles Zenawi. Il a assis un pouvoir sans partage, s’attirant les reproches des défenseurs des droits de l’homme.
Sur le plan économique, la libéralisation de l’économie a permis de générer une croissance de 10 % par an depuis près de dix ans. Ce qui a permis l’apparition d’une classe moyenne alimentée par les fonds de la diaspora, mais aussi très dépendante du pouvoir, puisque le gouvernement reste le principal donneur d’ordres.
Source : http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/En-Ethiopie-France-Telecom-accompagne-la-censure-d-Internet-_NP_-2012-06-10-816727