Les Indignés : et si on parlait du contenu ?
On sait qui ils sont : qui veut en être. On connaît leurs
inspirations : la colère, les révolutions arabes, l’appel de Stéphane
Hessel... Mais qu’en est-il du fond ? Heureuse coïncidence, ce mercredi
soir ce tenait un débat entre Indignés : « Qu’est-ce qui nous rassemble,
quels sont nos buts ».
En avant propos, il faut décrire rapidement l'organisation du débat,
tout à fait intéressante. Dans un premier temps, 25 personnes
s’inscrivent pour un tour de parole. Chacun a ses 3 minutes. Des
volontaires choisis en début de séance s’attachent à noter les thèmes
principaux ainsi dégagés. Les tours de paroles plus thématisés
reprennent ensuite. Malgré sa lenteur, le processus est efficace, chacun
respectant la parole de l’autre, le débat avance réellement selon un
principe que n’aurait pas renié Bourdieu qui soulignait la force de
«l’intellectuel collectif ».
Comme le débat avait pour thème les objectifs du mouvement, nous nous
attendions à une conséquente liste de revendications, et nous ne fûmes
pas déçus. Sortie du bipartisme, augmentation des minimas sociaux et
plafonnement des hauts revenus, casser le pouvoir des banques, renforcer
les services publics, principalement de l’éducation et de la santé,
réelle séparation des pouvoirs, sortir du nucléaire…
Mais
rapidement, une étonnante alchimie prend et deux lignes de forces se
dessinent nettement. D’un côté, ceux qui veulent mettre de côté toutes
les revendications trop concrètes, qui risquent d’être sources de
division. Il faut selon eux se concentrer sur la démocratie réelle,
c'est-à-dire se réapproprier le pouvoir. « Il faut avant tout
reprendre le pouvoir, car n’avoir que des revendications, c’est déjà
accorder à d’autres le pouvoir d’y remédier » synthétise l’un des intervenants.
Un jeune homme, l’écharpe rouge au vent prend la parole ensuite : « Demander plus de démocratie, c’est bien gentil, mais il faut remettre le social au cœur de notre mobilisation, sinon on ne restera qu’entre petits bourgeois ». « Il faut foutre par terre le capitalisme » conclut un autre.
Les débats peuvent donc se poursuivre autour de ces deux thèmes qui
font consensus : comment renverser le capitalisme, et quelle démocratie
veut-on.
Le débat s’affine et les idées se révèlent solides. Premier
consensus, il faut faire converger les luttes sociales. Une femme de
ménage au chômage, venue de banlieue, s’exclame avec émotion « c’est l’égoïsme de nos luttes qui fait la force de ceux d’en face »,
avant d’être chaleureusement applaudie. Elle raconte : « En 2005, pour
les émeutes de banlieue, on était tous seuls. Les syndicats, les
politiques n’étaient pas avec nous. Alors aujourd’hui je suis ici avec
vous pour ne pas qu’on puisse dire qu’on n’était pas là. Mais en
banlieue, on est le Lumpenprolétariat d’aujourd’hui ».
Outre la
convergence des luttes, deux idées avancées ont reçu une belle
approbation. Sortir de la dictature de l’argent, dès l’échelle de
l’individu, du consumérisme acharné, du tout jetable. Un autre Indigné
rappelle l’importance de la télévision dans l’immobilité, la soumission
des masses. Comme il faut faire sortir les gens dans la rue à l’heure de
Plus Belle La Vie, la télévision est devenue un ennemi.
Le débat devient ici plus complexe. Deux points recueillent
l’approbation générale : la révocabilité des élus, et l’importance de
pouvoir prendre librement et directement la parole, comme ils sont en
train de le faire. De là, il reste compliqué de monter un système, de se
mettre d’accord sur quelques principes constitutionnels. Certains
réclament des élections à la proportionnelle stricte, d’autres un tirage
au sort. Des Espagnols rappellent leur révolution de 1936, comme bel
exemple de démocratie directe dont il faudrait s’inspirer.
Mais une chose est sûre, pour les Indignés, ils veulent plus de démocratie en politique comme en entreprise. Le pouvoir revient à ceux qui travaillent, français comme étrangers.
Que soit utilisé le mot de coopérative ou d’autogestion, l’idée est
bel-et-bien là. Et si on leur demande, à qui faut-il prendre le pouvoir,
leur réponse est simple, l’ennemi identifié : à l’oligarchie
financière. Ils tiennent les rênes du travail, mais aussi de la
politique.
Ils sont encore bien loin d’un programme politique clair avec
propositions concrètes, ne parlons pas d’un projet constitutionnel, ou
même simplement de la formation d’une structure politique à eux. Ils en
ont conscience. Le débat tend pour l’instant à déconstruire, revenir à
des fondamentaux pour se construire un socle commun. Les Indignés nous
rappellent que la politique, c’est surtout et étymologiquement un vivre
ensemble, dans la cité, et que cela passe avant tout par l’écoute et le
respect de la parole d’autrui. Avant 2012, les nombreux candidats qui
ambitionnent de « réenchanter la politique » devraient peut-être
s’assoir quelques heures avec eux, et écouter.
Pour aller plus loin :
Des portraits de trois des Indignés ayant participé au débat : paroles d'Indignés de France
Et aussi :
Indignés de Paris : le melting pot
indignés de france : témoignez
Pierric Marissal
sources : HUMANITE
9 juin 2011
http://www.humanite.fr/09_06_2011-les-indign%C3%A9s-et-si-parlait-du-contenu-473985
On sait qui ils sont : qui veut en être. On connaît leurs
inspirations : la colère, les révolutions arabes, l’appel de Stéphane
Hessel... Mais qu’en est-il du fond ? Heureuse coïncidence, ce mercredi
soir ce tenait un débat entre Indignés : « Qu’est-ce qui nous rassemble,
quels sont nos buts ».
En avant propos, il faut décrire rapidement l'organisation du débat,
tout à fait intéressante. Dans un premier temps, 25 personnes
s’inscrivent pour un tour de parole. Chacun a ses 3 minutes. Des
volontaires choisis en début de séance s’attachent à noter les thèmes
principaux ainsi dégagés. Les tours de paroles plus thématisés
reprennent ensuite. Malgré sa lenteur, le processus est efficace, chacun
respectant la parole de l’autre, le débat avance réellement selon un
principe que n’aurait pas renié Bourdieu qui soulignait la force de
«l’intellectuel collectif ».
- Ce que nous voulons…
Comme le débat avait pour thème les objectifs du mouvement, nous nous
attendions à une conséquente liste de revendications, et nous ne fûmes
pas déçus. Sortie du bipartisme, augmentation des minimas sociaux et
plafonnement des hauts revenus, casser le pouvoir des banques, renforcer
les services publics, principalement de l’éducation et de la santé,
réelle séparation des pouvoirs, sortir du nucléaire…
Mais
rapidement, une étonnante alchimie prend et deux lignes de forces se
dessinent nettement. D’un côté, ceux qui veulent mettre de côté toutes
les revendications trop concrètes, qui risquent d’être sources de
division. Il faut selon eux se concentrer sur la démocratie réelle,
c'est-à-dire se réapproprier le pouvoir. « Il faut avant tout
reprendre le pouvoir, car n’avoir que des revendications, c’est déjà
accorder à d’autres le pouvoir d’y remédier » synthétise l’un des intervenants.
Un jeune homme, l’écharpe rouge au vent prend la parole ensuite : « Demander plus de démocratie, c’est bien gentil, mais il faut remettre le social au cœur de notre mobilisation, sinon on ne restera qu’entre petits bourgeois ». « Il faut foutre par terre le capitalisme » conclut un autre.
Les débats peuvent donc se poursuivre autour de ces deux thèmes qui
font consensus : comment renverser le capitalisme, et quelle démocratie
veut-on.
- Renverser le capitalisme.
Le débat s’affine et les idées se révèlent solides. Premier
consensus, il faut faire converger les luttes sociales. Une femme de
ménage au chômage, venue de banlieue, s’exclame avec émotion « c’est l’égoïsme de nos luttes qui fait la force de ceux d’en face »,
avant d’être chaleureusement applaudie. Elle raconte : « En 2005, pour
les émeutes de banlieue, on était tous seuls. Les syndicats, les
politiques n’étaient pas avec nous. Alors aujourd’hui je suis ici avec
vous pour ne pas qu’on puisse dire qu’on n’était pas là. Mais en
banlieue, on est le Lumpenprolétariat d’aujourd’hui ».
Outre la
convergence des luttes, deux idées avancées ont reçu une belle
approbation. Sortir de la dictature de l’argent, dès l’échelle de
l’individu, du consumérisme acharné, du tout jetable. Un autre Indigné
rappelle l’importance de la télévision dans l’immobilité, la soumission
des masses. Comme il faut faire sortir les gens dans la rue à l’heure de
Plus Belle La Vie, la télévision est devenue un ennemi.
- Quelle démocratie ?
Le débat devient ici plus complexe. Deux points recueillent
l’approbation générale : la révocabilité des élus, et l’importance de
pouvoir prendre librement et directement la parole, comme ils sont en
train de le faire. De là, il reste compliqué de monter un système, de se
mettre d’accord sur quelques principes constitutionnels. Certains
réclament des élections à la proportionnelle stricte, d’autres un tirage
au sort. Des Espagnols rappellent leur révolution de 1936, comme bel
exemple de démocratie directe dont il faudrait s’inspirer.
Mais une chose est sûre, pour les Indignés, ils veulent plus de démocratie en politique comme en entreprise. Le pouvoir revient à ceux qui travaillent, français comme étrangers.
Que soit utilisé le mot de coopérative ou d’autogestion, l’idée est
bel-et-bien là. Et si on leur demande, à qui faut-il prendre le pouvoir,
leur réponse est simple, l’ennemi identifié : à l’oligarchie
financière. Ils tiennent les rênes du travail, mais aussi de la
politique.
Ils sont encore bien loin d’un programme politique clair avec
propositions concrètes, ne parlons pas d’un projet constitutionnel, ou
même simplement de la formation d’une structure politique à eux. Ils en
ont conscience. Le débat tend pour l’instant à déconstruire, revenir à
des fondamentaux pour se construire un socle commun. Les Indignés nous
rappellent que la politique, c’est surtout et étymologiquement un vivre
ensemble, dans la cité, et que cela passe avant tout par l’écoute et le
respect de la parole d’autrui. Avant 2012, les nombreux candidats qui
ambitionnent de « réenchanter la politique » devraient peut-être
s’assoir quelques heures avec eux, et écouter.
Pour aller plus loin :
Des portraits de trois des Indignés ayant participé au débat : paroles d'Indignés de France
Et aussi :
Indignés de Paris : le melting pot
indignés de france : témoignez
Pierric Marissal
sources : HUMANITE
9 juin 2011
http://www.humanite.fr/09_06_2011-les-indign%C3%A9s-et-si-parlait-du-contenu-473985