Le Sénat propose de légaliser le piratage du patrimoine écrit du XXe siècle
Trois associations, ADULLACT, AFUL et FFII France, œuvrant pour la
promotion du libre accès aux ressources numériques dans le respect du
droit d’auteur, s’alarment de la proposition de loi sénatoriale relative
à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle,
destinée à bloquer la politique européenne d’ouverture de la culture et
des savoirs et à faire subventionner les éditeurs par les collectivités
territoriales et par l’état.
Ignorant le droit exclusif des auteurs, et notamment leur droit moral
de divulgation, le parlement français s’apprête à faire main basse sur
le patrimoine écrit du XXe siècle au bénéfice des éditeurs qui ont
abandonné l’exploitation de ces œuvres et au détriment du public à qui
elles sont destinées, des bibliothèques qui les ont préservées, et
surtout de la plupart de leurs auteurs. Le but premier de cette loi est
de court-circuiter une proposition de directive européenne qui prend en
compte l’intérêt public et les droits des auteurs.
La proposition de loi
Une proposition de loi [1] relative à l’exploitation numérique des
livres indisponibles du XXe siècle a été présentée au Sénat par le
sénateur Jacques Legendre. Cette loi a pour objectif de réaliser en
France ce que Google et quelques associations d’auteurs et d’éditeurs
voulaient réaliser aux États-Unis dans le cadre d’un accord
transactionnel de « class action » qui fut rejeté par la justice
états-unienne. Elle vise à mettre en place une structure, une société de
gestion collective obligatoire (SGCO), qui aurait un monopole du droit
d'autoriser ou d'interdire l'exploitation de toutes les œuvres
françaises du XXe siècle, hors domaine public, qui sont indisponibles
car non exploitées par les éditeurs qui en détiennent les droits
d'impression.
Il s’agit de près de 500 000 ouvrages qui ne sont plus en vente faute
de rentabilité commerciale et qui ne restent accessibles que grâce aux
bibliothèques. La SGCO contrôlerait le droit exclusif (sic) des auteurs,
sans même en rechercher les ayants droit pour leur demander leur avis,
afin de numériser les livres et permettre aux éditeurs de les exploiter
sous forme numérique. Les auteurs des livres ne pourraient se désengager
que sous des conditions très limitatives. Ce projet a été préparé de
longue date [2], les détails en restant secrets, notamment par le
ministère de la Culture, le Syndicat National de l’Édition (SNE) et la
Société des Gens De Lettre (SGDL). Ces organisations n’avaient pas de
mots assez durs pour fustiger l’accord Google, qui « n’[était] pas
conforme au droit de la propriété littéraire et artistique » mais qui le
devient subitement quand les mêmes acteurs font du Google sans Google,
en empiétant encore plus sur les droits exclusifs des auteurs.
Dans son rapport de 2008 sur les œuvres orphelines [3], le Conseil
Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) insistait,
tout au contraire et à l’instigation des mêmes acteurs, sur la nécessité
absolue de « recherches sérieuses et avérées » des ayants droit avant
toute exploitation non autorisée des œuvres.
La cible : une proposition de directive européenne
La première cible de cette proposition de loi est manifestement la
proposition de directive européenne sur certaines utilisations
autorisées des œuvres orphelines [4], les œuvres dont les auteurs ne
peuvent être localisés par une recherche diligente dans les sources
d’information professionnelles appropriées. Elles forment un contingent
important des œuvres indisponibles. Plutôt que de laisser ces œuvres
dans l’oubli, la directive propose en particulier d’en permettre
l’exploitation numérique gratuite au bénéfice du public par les
institutions qui les ont préservées, dans le cadre de leurs missions de
service public. Cela n’exclut nullement de dédommager les ayants droit
qui se manifesteraient et ne saurait ainsi en léser financièrement
aucun. La proposition de directive prévoit également une possibilité
d’exploitation payante pour les usages commerciaux, qui limiterait une
concurrence éventuelle faite aux autres œuvres
Cette proposition de directive est particulièrement équilibrée et
adaptée au monde numérique. Quel auteur, sachant qu’aucun ayant droit ne
sera là pour bénéficier financièrement de ses droits, voudrait ralentir
la diffusion de son œuvre en exigeant un paiement ? Le mal est bien sûr
moindre dans un cadre commercial où la mise à disposition est de toutes
façons payante.
Tout auteur veut, avant toute chose, un public. Créer sans son accord
un obstacle, financier ou autre, à la divulgation de son œuvre, comme le
prévoit la proposition sénatoriale, est l’atteinte la plus violente que
l’on puisse porter à son droit moral. Ce serait ici au bénéfice des
éditeurs puisque, par définition, aucun ayant droit n’est en état de
bénéficier du paiement. Et ce serait aussi au bénéfice des auteurs
actifs membres de sociétés d’auteurs qui pensent ainsi – et ne s’en
cachent pas [5] – se débarrasser de prétendus concurrents, par la loi
plutôt que par l’originalité de leurs écrits. Cela souligne s’il le
fallait encore l’atteinte au droit moral.
Un nombre croissant d’auteurs, notamment dans le monde universitaire
qui en compte beaucoup, choisissent aujourd’hui de mettre leurs œuvres
en accès ouvert sur l’Internet pour favoriser la diffusion de leurs
idées, puisque l’exploitation numérique peut se faire à coût marginal
nul. On peut donc encore plus légitimement penser que bien des auteurs
de ces œuvres orphelines en feraient autant pour les sortir de l’oubli.
On constate donc que cette proposition de loi, qui risque de léser
gravement nombre d’auteurs dont la plupart ne sont plus là pour se
défendre, a été négociée précisément par les représentants de ceux,
éditeurs ou auteurs, qui n’ont guère à en redouter les effets mais qui
en tirent avantage et considèrent explicitement les œuvres orphelines
comme une concurrence.
Et pour quelques dollars de plus
La diffusion imprimée a toujours requis des investissements coûteux qui
imposaient en pratique que l’exploitation soit commerciale, et il était
donc systématique de réserver pour l’auteur une part du revenu. Mais ce
principe ne va plus de soi dans un univers numérique qui permet une
mise à disposition sans coût, et un nombre croissant d’auteurs
choisissent d’augmenter leur public par la diffusion ouverte de leurs
œuvres, comme le montre le rapport du CSPLA de 2007 sur la mise à
disposition ouverte des œuvres de l’esprit [6].
Présumer que les auteurs des œuvres indisponibles, donc ayant un faible
succès commercial, souhaitent être diffusés numériquement de façon
lucrative plutôt que gratuitement est donc manifestement abusif.
L’imposer va à l’encontre de l’objectif affiché de relancer la
littérature du XXe siècle, et empiète sans nécessité aucune sur le droit
exclusif des auteurs à interdire l’usage et l’exploitation de leurs
œuvres. C’est pourtant ce qui est prévu dans la proposition de loi,
éventuellement contre la volonté des auteurs. L’accord Google n’en
faisait pas tant et aurait été compatible avec la proposition de
directive européenne.
On peut d’ailleurs se demander si un auteur décidant d’exploiter
lui-même sur l’Internet son propre livre, publié au XXe siècle et
indisponible, risquerait alors des poursuites en contrefaçon et une
condamnation à 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Un accord cadre [2], dont les détails sont restés secrets, prévoit de
financer la numérisation de ces livres par le grand emprunt pour les
investissements d’avenir, donc par de l’argent public. Vu le faible
intérêt commercial des œuvres dans le public, cela serait surtout
remboursé par les paiements des bibliothèques et d’autres établissements
de conservation et mise à disposition des œuvres. C’est donc en fin de
compte l’argent public des collectivités territoriales et de l’État qui
servira à rembourser l’argent public de l’État, pour permettre à des
organisations privées d’accaparer un patrimoine qui n’est nullement une
propriété collective des auteurs et des éditeurs.
Cette proposition de loi aux motifs spécieux, très technique et peu
compréhensible pour les non-spécialistes, se cache sous des oripeaux
juridiques pour fouler aux pieds tant l’intérêt public et l’intérêt du
public que les fondements du droit d’auteur et notamment du droit moral
dont la France a coutume de s'enorgueillir.
Les problèmes qu’elle prétend résoudre peuvent l’être bien plus
efficacement par d’autres méthodes plus équitables, plus transparentes
et plus conformes à l’intérêt public. L’action de l’Union Européenne va
dans ce sens avec sa proposition de directive sur les œuvres orphelines,
avec la bibliothèque numérique Europeana et avec la base de données
ARROW.
Notes et références
[1] Proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres
indisponibles du XXe siècle, Sénat, 21 octobre 2011.
http://www.senat.fr/leg/ppl11-054.html
[2] Une deuxième vie pour des titres indisponibles, Ministère de la
Culture et de la Communication, 2 février 2011.
http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Une-deuxieme-vie-pour-des-titres-indisponibles
[3] Rapport de la Commission du CSPLA sur les œuvres orphelines,
CSPLA,19 mars 2008.
http://www.cspla.culture.gouv.fr/CONTENU/rapoeuvor08.pdf
[4] Proposition de directive sur certaines utilisations autorisées des
œuvres orphelines, Commission européenne, 2011/0136 (COD), 2 mai 2011.
http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/orphan_works_fr.htm#directive
[5] Les Œuvres Orphelines dans le Secteur de l’Écrit, Groupe de travail
CFC, note d’étape, 2 octobre 2007.
http://www.datcha.net/orphan/documents/france/CFC-NOTE-D-ETAPE-2007.10.02.pdf
[6] Rapport de la Commission du CSPLA sur la mise à disposition ouverte
des œuvres de l’esprit, CSPLA, juin 2007.
http://www.cspla.culture.gouv.fr/CONTENU/miseadiposouverterapp.pdf
Autres documents :
[7] Dossier AFUL sur les œuvres orphelines au CSPLA, 2007-2008. http://aful.org/droit-auteur/index/oeuvres-orphelines/
[8] Le Sénat organise le viol des droits d’auteur, Communiqué ADULLACT,
AFUL, FFII-France, 26 octobre 2010.
http://aful.org/communiques/senat-organise-viol-droits-auteur
Note : La première acception du mot « pirate » dans ce contexte,
apparue au début du XVIIe siècle, désigne l'exploitation illégitime des
œuvres par des professionnels.
À propos de l'Adullact (http://adullact.org/)
Née fin 2002, l'Association des Développeurs et Utilisateurs de
Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités
Territoriales s'est donnée pour tâche de constituer, développer et
promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que
l'argent public ne paie qu'une fois. L'Adullact dispose d'une équipe
permanente, pour encourager et aider les membres à mutualiser leurs
développements sur la forge adullact.net, qui compte aussi les projets
de la forge admisource. Structure unique en son genre, l'Adullact était
accréditée pour le Sommet Mondial de Tunis.
À propos de l'AFUL (http://aful.org/)
Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, l'AFUL a
pour principal objectif de promouvoir les logiciels libres ainsi que
l'utilisation des standards ouverts. Ses membres, utilisateurs,
professionnels du logiciel libre, entreprises ainsi que d'autres
associations, sont issus d'une dizaine de pays ou de régions
francophones (France, Belgique, Suisse, Afrique francophone, Québec).
À propos de la FFII France (http://ffii.fr/)
Association sous le régime de la loi de 1901, la FFII France est le
chapitre français de l’Association pour une infrastructure
informationnelle libre ( FFII ), association à but non lucratif
enregistrée dans divers pays européens. La FFII France a pour but la
défense des droits et libertés informationnels dont principalement les
droits des auteurs et des utilisateurs de logiciels selon les textes
nationaux et internationaux mais aussi la sécurité juridique des
producteurs et des utilisateurs de logiciels, notamment par la lutte
contre les brevets logiciels. La FFII France est donc le porte parole de
la FFII en France.
http://www.lavienumerique.com/articles/125355/senat-propose-legaliser-piratage-patrimoine-ecrit-xxe-siecle.html
Trois associations, ADULLACT, AFUL et FFII France, œuvrant pour la
promotion du libre accès aux ressources numériques dans le respect du
droit d’auteur, s’alarment de la proposition de loi sénatoriale relative
à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle,
destinée à bloquer la politique européenne d’ouverture de la culture et
des savoirs et à faire subventionner les éditeurs par les collectivités
territoriales et par l’état.
Ignorant le droit exclusif des auteurs, et notamment leur droit moral
de divulgation, le parlement français s’apprête à faire main basse sur
le patrimoine écrit du XXe siècle au bénéfice des éditeurs qui ont
abandonné l’exploitation de ces œuvres et au détriment du public à qui
elles sont destinées, des bibliothèques qui les ont préservées, et
surtout de la plupart de leurs auteurs. Le but premier de cette loi est
de court-circuiter une proposition de directive européenne qui prend en
compte l’intérêt public et les droits des auteurs.
La proposition de loi
Une proposition de loi [1] relative à l’exploitation numérique des
livres indisponibles du XXe siècle a été présentée au Sénat par le
sénateur Jacques Legendre. Cette loi a pour objectif de réaliser en
France ce que Google et quelques associations d’auteurs et d’éditeurs
voulaient réaliser aux États-Unis dans le cadre d’un accord
transactionnel de « class action » qui fut rejeté par la justice
états-unienne. Elle vise à mettre en place une structure, une société de
gestion collective obligatoire (SGCO), qui aurait un monopole du droit
d'autoriser ou d'interdire l'exploitation de toutes les œuvres
françaises du XXe siècle, hors domaine public, qui sont indisponibles
car non exploitées par les éditeurs qui en détiennent les droits
d'impression.
Il s’agit de près de 500 000 ouvrages qui ne sont plus en vente faute
de rentabilité commerciale et qui ne restent accessibles que grâce aux
bibliothèques. La SGCO contrôlerait le droit exclusif (sic) des auteurs,
sans même en rechercher les ayants droit pour leur demander leur avis,
afin de numériser les livres et permettre aux éditeurs de les exploiter
sous forme numérique. Les auteurs des livres ne pourraient se désengager
que sous des conditions très limitatives. Ce projet a été préparé de
longue date [2], les détails en restant secrets, notamment par le
ministère de la Culture, le Syndicat National de l’Édition (SNE) et la
Société des Gens De Lettre (SGDL). Ces organisations n’avaient pas de
mots assez durs pour fustiger l’accord Google, qui « n’[était] pas
conforme au droit de la propriété littéraire et artistique » mais qui le
devient subitement quand les mêmes acteurs font du Google sans Google,
en empiétant encore plus sur les droits exclusifs des auteurs.
Dans son rapport de 2008 sur les œuvres orphelines [3], le Conseil
Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) insistait,
tout au contraire et à l’instigation des mêmes acteurs, sur la nécessité
absolue de « recherches sérieuses et avérées » des ayants droit avant
toute exploitation non autorisée des œuvres.
La cible : une proposition de directive européenne
La première cible de cette proposition de loi est manifestement la
proposition de directive européenne sur certaines utilisations
autorisées des œuvres orphelines [4], les œuvres dont les auteurs ne
peuvent être localisés par une recherche diligente dans les sources
d’information professionnelles appropriées. Elles forment un contingent
important des œuvres indisponibles. Plutôt que de laisser ces œuvres
dans l’oubli, la directive propose en particulier d’en permettre
l’exploitation numérique gratuite au bénéfice du public par les
institutions qui les ont préservées, dans le cadre de leurs missions de
service public. Cela n’exclut nullement de dédommager les ayants droit
qui se manifesteraient et ne saurait ainsi en léser financièrement
aucun. La proposition de directive prévoit également une possibilité
d’exploitation payante pour les usages commerciaux, qui limiterait une
concurrence éventuelle faite aux autres œuvres
Cette proposition de directive est particulièrement équilibrée et
adaptée au monde numérique. Quel auteur, sachant qu’aucun ayant droit ne
sera là pour bénéficier financièrement de ses droits, voudrait ralentir
la diffusion de son œuvre en exigeant un paiement ? Le mal est bien sûr
moindre dans un cadre commercial où la mise à disposition est de toutes
façons payante.
Tout auteur veut, avant toute chose, un public. Créer sans son accord
un obstacle, financier ou autre, à la divulgation de son œuvre, comme le
prévoit la proposition sénatoriale, est l’atteinte la plus violente que
l’on puisse porter à son droit moral. Ce serait ici au bénéfice des
éditeurs puisque, par définition, aucun ayant droit n’est en état de
bénéficier du paiement. Et ce serait aussi au bénéfice des auteurs
actifs membres de sociétés d’auteurs qui pensent ainsi – et ne s’en
cachent pas [5] – se débarrasser de prétendus concurrents, par la loi
plutôt que par l’originalité de leurs écrits. Cela souligne s’il le
fallait encore l’atteinte au droit moral.
Un nombre croissant d’auteurs, notamment dans le monde universitaire
qui en compte beaucoup, choisissent aujourd’hui de mettre leurs œuvres
en accès ouvert sur l’Internet pour favoriser la diffusion de leurs
idées, puisque l’exploitation numérique peut se faire à coût marginal
nul. On peut donc encore plus légitimement penser que bien des auteurs
de ces œuvres orphelines en feraient autant pour les sortir de l’oubli.
On constate donc que cette proposition de loi, qui risque de léser
gravement nombre d’auteurs dont la plupart ne sont plus là pour se
défendre, a été négociée précisément par les représentants de ceux,
éditeurs ou auteurs, qui n’ont guère à en redouter les effets mais qui
en tirent avantage et considèrent explicitement les œuvres orphelines
comme une concurrence.
Et pour quelques dollars de plus
La diffusion imprimée a toujours requis des investissements coûteux qui
imposaient en pratique que l’exploitation soit commerciale, et il était
donc systématique de réserver pour l’auteur une part du revenu. Mais ce
principe ne va plus de soi dans un univers numérique qui permet une
mise à disposition sans coût, et un nombre croissant d’auteurs
choisissent d’augmenter leur public par la diffusion ouverte de leurs
œuvres, comme le montre le rapport du CSPLA de 2007 sur la mise à
disposition ouverte des œuvres de l’esprit [6].
Présumer que les auteurs des œuvres indisponibles, donc ayant un faible
succès commercial, souhaitent être diffusés numériquement de façon
lucrative plutôt que gratuitement est donc manifestement abusif.
L’imposer va à l’encontre de l’objectif affiché de relancer la
littérature du XXe siècle, et empiète sans nécessité aucune sur le droit
exclusif des auteurs à interdire l’usage et l’exploitation de leurs
œuvres. C’est pourtant ce qui est prévu dans la proposition de loi,
éventuellement contre la volonté des auteurs. L’accord Google n’en
faisait pas tant et aurait été compatible avec la proposition de
directive européenne.
On peut d’ailleurs se demander si un auteur décidant d’exploiter
lui-même sur l’Internet son propre livre, publié au XXe siècle et
indisponible, risquerait alors des poursuites en contrefaçon et une
condamnation à 3 ans de prison et 300 000 euros d’amende.
Un accord cadre [2], dont les détails sont restés secrets, prévoit de
financer la numérisation de ces livres par le grand emprunt pour les
investissements d’avenir, donc par de l’argent public. Vu le faible
intérêt commercial des œuvres dans le public, cela serait surtout
remboursé par les paiements des bibliothèques et d’autres établissements
de conservation et mise à disposition des œuvres. C’est donc en fin de
compte l’argent public des collectivités territoriales et de l’État qui
servira à rembourser l’argent public de l’État, pour permettre à des
organisations privées d’accaparer un patrimoine qui n’est nullement une
propriété collective des auteurs et des éditeurs.
Cette proposition de loi aux motifs spécieux, très technique et peu
compréhensible pour les non-spécialistes, se cache sous des oripeaux
juridiques pour fouler aux pieds tant l’intérêt public et l’intérêt du
public que les fondements du droit d’auteur et notamment du droit moral
dont la France a coutume de s'enorgueillir.
Les problèmes qu’elle prétend résoudre peuvent l’être bien plus
efficacement par d’autres méthodes plus équitables, plus transparentes
et plus conformes à l’intérêt public. L’action de l’Union Européenne va
dans ce sens avec sa proposition de directive sur les œuvres orphelines,
avec la bibliothèque numérique Europeana et avec la base de données
ARROW.
Notes et références
[1] Proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres
indisponibles du XXe siècle, Sénat, 21 octobre 2011.
http://www.senat.fr/leg/ppl11-054.html
[2] Une deuxième vie pour des titres indisponibles, Ministère de la
Culture et de la Communication, 2 février 2011.
http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Une-deuxieme-vie-pour-des-titres-indisponibles
[3] Rapport de la Commission du CSPLA sur les œuvres orphelines,
CSPLA,19 mars 2008.
http://www.cspla.culture.gouv.fr/CONTENU/rapoeuvor08.pdf
[4] Proposition de directive sur certaines utilisations autorisées des
œuvres orphelines, Commission européenne, 2011/0136 (COD), 2 mai 2011.
http://ec.europa.eu/internal_market/copyright/orphan_works_fr.htm#directive
[5] Les Œuvres Orphelines dans le Secteur de l’Écrit, Groupe de travail
CFC, note d’étape, 2 octobre 2007.
http://www.datcha.net/orphan/documents/france/CFC-NOTE-D-ETAPE-2007.10.02.pdf
[6] Rapport de la Commission du CSPLA sur la mise à disposition ouverte
des œuvres de l’esprit, CSPLA, juin 2007.
http://www.cspla.culture.gouv.fr/CONTENU/miseadiposouverterapp.pdf
Autres documents :
[7] Dossier AFUL sur les œuvres orphelines au CSPLA, 2007-2008. http://aful.org/droit-auteur/index/oeuvres-orphelines/
[8] Le Sénat organise le viol des droits d’auteur, Communiqué ADULLACT,
AFUL, FFII-France, 26 octobre 2010.
http://aful.org/communiques/senat-organise-viol-droits-auteur
Note : La première acception du mot « pirate » dans ce contexte,
apparue au début du XVIIe siècle, désigne l'exploitation illégitime des
œuvres par des professionnels.
À propos de l'Adullact (http://adullact.org/)
Née fin 2002, l'Association des Développeurs et Utilisateurs de
Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités
Territoriales s'est donnée pour tâche de constituer, développer et
promouvoir un patrimoine commun de logiciels libres métiers, afin que
l'argent public ne paie qu'une fois. L'Adullact dispose d'une équipe
permanente, pour encourager et aider les membres à mutualiser leurs
développements sur la forge adullact.net, qui compte aussi les projets
de la forge admisource. Structure unique en son genre, l'Adullact était
accréditée pour le Sommet Mondial de Tunis.
À propos de l'AFUL (http://aful.org/)
Association Francophone des Utilisateurs de Logiciels Libres, l'AFUL a
pour principal objectif de promouvoir les logiciels libres ainsi que
l'utilisation des standards ouverts. Ses membres, utilisateurs,
professionnels du logiciel libre, entreprises ainsi que d'autres
associations, sont issus d'une dizaine de pays ou de régions
francophones (France, Belgique, Suisse, Afrique francophone, Québec).
À propos de la FFII France (http://ffii.fr/)
Association sous le régime de la loi de 1901, la FFII France est le
chapitre français de l’Association pour une infrastructure
informationnelle libre ( FFII ), association à but non lucratif
enregistrée dans divers pays européens. La FFII France a pour but la
défense des droits et libertés informationnels dont principalement les
droits des auteurs et des utilisateurs de logiciels selon les textes
nationaux et internationaux mais aussi la sécurité juridique des
producteurs et des utilisateurs de logiciels, notamment par la lutte
contre les brevets logiciels. La FFII France est donc le porte parole de
la FFII en France.
http://www.lavienumerique.com/articles/125355/senat-propose-legaliser-piratage-patrimoine-ecrit-xxe-siecle.html