#FrenchRevolution Repolitiser la démocratie
Posté par SoldatduWeb juillet - 20 - 2011
Selon l’historien Pierre Rosanvallon, nous sommes entrés dans « un nouvel âge des démocraties » (1).
Un constat qui peut sembler banal puisqu’il est du propre de la
démocratie de changer d’âge, de se renouveler à la vitesse de la société
et d’apparaître comme une idée perpétuellement « neuve » (2).
#frenchrevolution Paris Bastille 22 mai 2011
Depuis vingt ans, un profond changement est pourtant intervenu. La
défiance de la société vis-à-vis du pouvoir politique a pris une
intensité telle que Rosanvallon évoque une « contre-démocratie ». Pas
une anti-démocratie, même si le populisme peut y conduire, mais une
forme presque explosive de démocratie généralisée, niant le politique.
Comme si la société prenait le pouvoir en prétendant faire l’économie du
moment politique qui passe nécessairement par la représentation et
l’élection. D’où la traînée de poudre des « indignés » et leur slogan : «
Vous ne nous représentez pas ! »
Il y a bien des causes à ce divorce : le sentiment d’impuissance du
politique face au chaos économique ; la conscience d’une injustice
croissante ; le sacre de l’individu absolu ; l’élévation du niveau moyen
d’instruction… Mais la vraie nouveauté est ailleurs.
D’abord, dans le formidable essor des techniques de communication qui
ont facilité l’accès à l’information, devenue, par sa qualité et sa
quantité, une arme de la surveillance des pouvoirs. Internet incarne
aujourd’hui un pouvoir de vigilance, de notation, de dénonciation et,
comme on l’a vu au cours du Printemps arabe, un formidable instrument de
mobilisation.
Dans le même temps, il s’est révélé comme l’instrument d’un mode de
relations fondé sur le choix. Chacun choisit son réseau qui rend la
citoyenneté à la fois très courte (quartier, bande, association) et très
longue (planète…), au risque d’oublier que la vraie dimension de la
citoyenneté se situe entre les deux (nation, Europe…) dans un espace de
solidarité, de partage avec les citoyens.
La nouveauté est aussi dans le conflit ouvert entre le temps de la
société et le temps politique. La première est plus que jamais en «
temps réel » : le désir et sa satisfaction doivent coïncider au mieux. «
Je veux, donc je peux. » Internet et le portable entretiennent une
illusion d’immédiateté qui crée une forme croissante d’impatience. «
Attendre », qui se dit joliment en espagnol et portugais esperar, est devenu un mot archaïque.
Même l’entrée dans l’ivresse s’accélère.
Le binge drinking ou orgie d’alcool qui produit ses effets en une ou deux heures
vient d’être détrôné par l’extrem drinking d’effet immédiat.
Quel symbole d’une frénésie de l’urgence !
Comment, dès lors, s’étonner de lire, dans la presse, des titres tels
que : « Six mois après le début de la révolution de jasmin, les
réformes espérées tardent à venir. » Comme si les grandes révolutions
pouvaient changer la société en quelques mois ! Celle de 1789 a mis plus
d’un siècle.
Quoi qu’on fasse, et quelle que soit la tentation des acteurs
politiques eux-mêmes de céder au court terme du temps médiatique et des
échéances électorales, les politiques publiques ne se déploient vraiment
que dans la longue durée : cinq, dix années et plus, dans le cas de
l’environnement. Cela suffit à fonder la nécessité de repolitiser la
démocratie.
(*) Professeur de droit public à Brest.
(1) La contre-démocratie, Gallimard, 2006.
(2) La démocratie, une idée neuve, thème des Semaines sociales 2011.Jacques Le Goff
Posté par SoldatduWeb juillet - 20 - 2011
Selon l’historien Pierre Rosanvallon, nous sommes entrés dans « un nouvel âge des démocraties » (1).
Un constat qui peut sembler banal puisqu’il est du propre de la
démocratie de changer d’âge, de se renouveler à la vitesse de la société
et d’apparaître comme une idée perpétuellement « neuve » (2).
#frenchrevolution Paris Bastille 22 mai 2011
Depuis vingt ans, un profond changement est pourtant intervenu. La
défiance de la société vis-à-vis du pouvoir politique a pris une
intensité telle que Rosanvallon évoque une « contre-démocratie ». Pas
une anti-démocratie, même si le populisme peut y conduire, mais une
forme presque explosive de démocratie généralisée, niant le politique.
Comme si la société prenait le pouvoir en prétendant faire l’économie du
moment politique qui passe nécessairement par la représentation et
l’élection. D’où la traînée de poudre des « indignés » et leur slogan : «
Vous ne nous représentez pas ! »
Il y a bien des causes à ce divorce : le sentiment d’impuissance du
politique face au chaos économique ; la conscience d’une injustice
croissante ; le sacre de l’individu absolu ; l’élévation du niveau moyen
d’instruction… Mais la vraie nouveauté est ailleurs.
D’abord, dans le formidable essor des techniques de communication qui
ont facilité l’accès à l’information, devenue, par sa qualité et sa
quantité, une arme de la surveillance des pouvoirs. Internet incarne
aujourd’hui un pouvoir de vigilance, de notation, de dénonciation et,
comme on l’a vu au cours du Printemps arabe, un formidable instrument de
mobilisation.
Dans le même temps, il s’est révélé comme l’instrument d’un mode de
relations fondé sur le choix. Chacun choisit son réseau qui rend la
citoyenneté à la fois très courte (quartier, bande, association) et très
longue (planète…), au risque d’oublier que la vraie dimension de la
citoyenneté se situe entre les deux (nation, Europe…) dans un espace de
solidarité, de partage avec les citoyens.
La nouveauté est aussi dans le conflit ouvert entre le temps de la
société et le temps politique. La première est plus que jamais en «
temps réel » : le désir et sa satisfaction doivent coïncider au mieux. «
Je veux, donc je peux. » Internet et le portable entretiennent une
illusion d’immédiateté qui crée une forme croissante d’impatience. «
Attendre », qui se dit joliment en espagnol et portugais esperar, est devenu un mot archaïque.
Même l’entrée dans l’ivresse s’accélère.
Le binge drinking ou orgie d’alcool qui produit ses effets en une ou deux heures
vient d’être détrôné par l’extrem drinking d’effet immédiat.
Quel symbole d’une frénésie de l’urgence !
Comment, dès lors, s’étonner de lire, dans la presse, des titres tels
que : « Six mois après le début de la révolution de jasmin, les
réformes espérées tardent à venir. » Comme si les grandes révolutions
pouvaient changer la société en quelques mois ! Celle de 1789 a mis plus
d’un siècle.
Quoi qu’on fasse, et quelle que soit la tentation des acteurs
politiques eux-mêmes de céder au court terme du temps médiatique et des
échéances électorales, les politiques publiques ne se déploient vraiment
que dans la longue durée : cinq, dix années et plus, dans le cas de
l’environnement. Cela suffit à fonder la nécessité de repolitiser la
démocratie.
(*) Professeur de droit public à Brest.
(1) La contre-démocratie, Gallimard, 2006.
(2) La démocratie, une idée neuve, thème des Semaines sociales 2011.Jacques Le Goff