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    Internet : Manipulation des masses, laboratoire la Tunisie ?

    maele
    maele


    Messages : 126
    Date d'inscription : 13/06/2011

    Internet : Manipulation des masses, laboratoire la Tunisie ?  Empty Internet : Manipulation des masses, laboratoire la Tunisie ?

    Message  maele Mer 22 Juin - 18:40

    Pour avoir cherché à démasquer le groupe
    Anonymous, HBGary, une société de sécurité informatique, a vu ces
    derniers s’emparer des archives emails de l’entreprise et les publier
    aux yeux de tous sur internet. HBGary, qui compte plusieurs agences
    fédérales ainsi que l’armée américaine parmi ses clients, a ainsi
    dévoilé – bien involontairement – de nombreuses informations
    compromettantes, dont une concernant la mise au point d’une
    technologie permettant à un seul opérateur d’incarner une multitude de
    personnages à travers différents réseaux sociaux, tels Facebook,
    Twitter ou MySpace.

    Avec un tel logiciel, une personne
    pourrait ainsi simuler, à elle seule, un effet de foule, une petite
    équipe pourrait mettre en scène une majorité. La psycho-sociologie
    ayant toujours cours dans le virtuel, on imagine aisément l’intérêt
    d’un tel outil pour quiconque voulant influencer l’opinion (et la
    presse) à travers les réseaux sociaux.

    
    Le logiciel, pour lequel l’armée américaine a passé un appel d’offre en
    juin dernier – lui aussi rendu public de façon fortuite -, est
    particulièrement sophistiqué. Il intègre des outils destinés à aider son
    utilisateur à incarner de façon cohérente plusieurs dizaines de
    personnalités différentes, des technologies destinées à rendre
    l’ensemble furtif en cas de surveillance électronique, ainsi qu’à
    automatiser une partie de la vie en ligne des différentes marionnettes
    ainsi opérées. Mais dans les faits, de tels logiciels, dans des
    versions moins sophistiquées, sont déjà en usage depuis un certain
    temps.

    Il y a un an la version Française du
    blog ReadWriteWeb a eu l’occasion de faire face à ce type de
    technologie destinée a manipuler l’opinion publique. Suite à la
    publication d’un article décrivant un mode de harcèlement opéré par ce
    qui était identifié alors sur Facebook comme des islamistes
    Tunisiens, ces derniers nous prirent pour cible. Ce fut le début d’une
    longue enquête qui nous permit de démasquer une vaste opération de
    manipulation orchestrée par le régime Ben Ali, au cours de laquelle
    nous avons pu découvrir, avec le concours de cyberdissidents
    Tunisiens, l’existence de ces logiciels de Persona Management.

    Ben Ali ne faisait pas un usage intensif
    de ce type de logiciel, il avait une solution bien plus radicale :
    une véritable petite armée numérique, forte de 500 à 1000 hommes,
    auxquels le RCD, le parti présidentiel, venait prêter main forte
    durant les périodes électorales.

    La mise en scène de faux islamistes
    (ainsi que la manipulation ou la complicité de vrais islamistes sur
    Facebook) n’était en réalité qu’une petite partie d’une vaste
    opération de manipulation de l’opinion, orchestrée par les services de
    Ben Ali et sous sa supervision directe. Cette opération d’ « infowar »
    fut un échec. La manipulation fut révélée au grand jour, suivie de
    celle d’une tentative de piratage de comptes Facebook et Gmail de
    nombreux citoyens Tunisiens, le mois suivant. Facebook, qui devait
    devenir six mois plus tard l’un des outils au service de la
    révolution, était déjà le lieu d’une révolte depuis plusieurs années,
    qui venait de remporter ses premières victoires.

    Un an et une révolution plus tard, c’est
    toujours en Tunisie que l’on trouve les infowars politiques les plus
    sophistiquées. Le 4 mai 2011 apparaissait sur Facebook la vidéo d’une
    interview de Farhat Rajhi, ex ministre du premier gouvernement post
    révolutionnaire de la Tunisie. L’homme, très populaire sur Facebook
    mais candide en politique, y faisait des révélations fracassantes. Il
    s’était fait connaître du grand public en détaillant à la télévision,
    un mois plus tôt, la façon dont son bureau ministériel s’était fait
    prendre d’assaut par une horde non identifiée et éméchée, aux allures
    de milice. L’homme avait décidé de mettre à pied, au sein du ministère
    de l’intérieur dont il avait la charge, les responsables de la
    répression de l’ère Ben Ali, ce qui n’était pas pour plaire à tout le
    monde. Trois jours après ces incidents, il fut d’ailleurs démis de ses
    fonctions, ce qui provoqua au passage un sursaut du nombre de comptes
    créés sur Facebook dans le pays.

    La thèse exposée par Farhat Rajhi dans
    la vidéo qui fit son apparition sur Facebook le 4 mai au soir est
    simple : le gouvernement de transition préparerait un coup d’Etat
    militaire et n’attendrait que la victoire annoncée du parti islamique
    Ennhadha pour se saisir du pouvoir et imposer sa loi. Mais c’est la
    façon dont cet interview à été utilisée dans le cadre d’une « infowar »
    qui est annonciatrice d’une nouvelle ère dans la communication
    politique. L’entretien que Farhat Rajhi a accordé au journal en ligne
    Nourpress.com, jusqu’ici parfaitement inconnu, s’est déroulé sur près
    d’une heure et a été filmé. Pas avec un téléphone portable, mais avec
    une caméra professionnelle, bien visible. Il ne s’agit en aucun cas
    d’un piège, ce qu’a confirmé Farhat Rajhi le lendemain sur les ondes
    d’ExpressFM, une radio nationale très écoutée. Mais ce n’est pas le
    journal en ligne qui a publié cette vidéo. Cette dernière aurait été
    ‘volée par des pirates’ qui se seraient introduits sur les systèmes
    informatiques du journal (vraisemblablement par la porte d’entrée du
    bâtiment, avec la complicité d’une des journalistes qui a réalisé
    l’interview – selon un communiqué du journal en question -, et en
    utilisant une clé usb comme méthode d’intrusion, ceux qui
    s’attendaient à une histoire de hackers digne de Hollywood en sont
    pour leurs frais).

    L’un des journalistes complices de la
    fuite a été immédiatement identifié – grâce aux traces qu’il a laissé
    un peu partout sur Facebook – comme un sympathisant d’Ennahdha, le
    parti islamique – et tout laisse penser qu’il est en rapport avec le
    mystérieux groupe qui a mis en ligne une large partie de l’interview
    sur Facebook. A ce stade, il est utile de préciser qu’Ennahdha ne se
    distingue pas seulement par ses prises de positions politiques, mais
    également par l’extrême professionnalisme de ses usages de Facebook.
    Seul parti à avoir acheté de la publicité à la régie Facebook, ses
    différentes pages officielles sont faites dans les règles de l’art, et
    sont entourées d’une myriade de pages fans ‘informatives’, présentées
    comme non affiliées au parti, dont les propos glissent doucement vers
    une approbation claire et nette de l’idéologie d’Ennahdha. De
    nombreuses pages fans très suivies durant la révolution auraient été
    achetées par le parti dans les semaines qui ont suivi le 14 janvier,
    lui permettant ainsi de se constituer rapidement une audience
    confortable afin de ‘lancer’ des alertes ou de diffuser des
    ‘informations’.

    Selon des sources fiables, le parti, qui
    vient de passer commande d’une installation fibre optique reliant
    plus d’une vingtaine de ses bureaux, dispose d’une war room dédiée à
    la gestion de communautés sur Facebook, qui compte une douzaine de
    permanents. La publication sur Facebook des propos tenus par Farhat
    Rajhi, de facto, est très probablement un élément de communication
    dont le timing, à défaut du contenu, a été maîtrisé par l’équipe de
    campagne d’Ennahdha dans le but de « faire du buzz ». Le moins que
    l’on puisse dire, c’est que l’opération est jusqu’ici parfaitement
    réussie. L’intégrale de l’interview, révélée entre temps, laisse
    apparaître, elle, un Farhat Rajhi jouant sur les rivalités
    régionalistes dans des passages soigneusement élagués de l’entretient
    qui auraient, s’ils avaient été diffusés dès le départ, donné une
    saveur de vulgaire conversation de bistro aux révélations faites par
    l’ancien ministre.

    Le lendemain, alors que la publication
    de cette vidéo provoquait les premières manifestations violemment
    réprimées à Tunis, Radio Kalima, une radio internet dirigée par Sihem
    Ben Sedrine, figure historique de l’opposition à Ben Ali, subissait un
    attaque informatique l’empêchant de diffuser dans la soirée, alors
    qu’au même moment se propageaient des rumeurs de coups d’Etat,
    sourçant l’information comme provenant de Radio Kalima, bien incapable
    de démentir les propos qu’on lui prêtait. Le surlendemain, au milieu
    des photos empruntées à l’Iran ou la Syrie censées dénoncer les
    violences policières à Tunis, et diffusées par des pages Facebook ‘pro
    révolutionnaires’, ce sont deux autres radios nationales, ExpressFM
    et JawharaFM, qui se voyaient désigner comme sources d’une information
    annonçant l’arrestation de Farhat Rajhi. Une rumeur de plus, qui
    ajoute à une vaste stratégie de désinformation remarquablement
    orchestrée.

    Jusqu’ici, en Tunisie tout du moins,
    seule l’armée numérique de Ben Ali et les officines à son service
    étaient capables d’une telle prouesse en termes d’infowar, c’est
    d’ailleurs cette armée numérique que la patronne de radio Kalima a
    accusé lors d’une conférence de presse « d’urgence » le 6 mai, sans
    imaginer un instant qu’il est probable qu’une bonne partie de ses
    soldats aient déserté et ne soient aujourd’hui que de simples
    mercenaires, et sans envisager un instant non plus que les officines
    occultes de désinformation sur internet aient, entre temps, renouvelé
    leur clientèle.

    L’hypothèse d’une opération menée par le
    parti islamiste Ennhadha est tout aussi vraisemblable, tout comme
    celle d’une opération commandité par une organisation
    instrumentalisant, une fois de plus, les islamistes, quitte à leur
    donner un coup de pouce. Il faut dire que le parti Islamique est, sur
    les réseaux sociaux, dans une mauvaise passe. Révélations sur ses
    finances occultes (là aussi, à travers une fuite de documents),
    rumeurs sur la polygamie du leader charismatique, réponse juridique
    violente et menaces de mort anonymes envers des administrateurs de
    pages Facebook ayant organisé un buzz tournant en dérision certaines
    initiatives en ligne du parti… Il était temps de frapper un grand coup
    pour faire oublier une série de contretemps.

    De son coté, le premier ministre
    Tunisien désignait, quelques jours après les faits, le Parti
    Communiste des Ouvriers deTunisie, accusé de s’opposer à la tenue de
    l’élection de l’Assemblée Constituante, le 24 juillet 2011. Il
    qualifiait par ailleurs les propos de Rajhi de ‘Dangeureux’ et le
    disait manipulé par le POCT. La Tunisie est un cas extrême. Les média
    traditionnels n’y ont aucune crédibilité, et durant les années Ben
    Ali, l’internet y était l’un des plus censuré du monde. Facebook y a
    longtemps été le seul espace où l’on pouvait s’exprimer librement
    (sous un nom d’emprunt la plupart du temps) et trouver de
    l’information sur la situation du pays.

    Un temps tenté par la censure pure et
    simple de Facebook, Ben Ali opta finalement pour l’infiltration et la
    manipulation. Une décision qui causa sa perte, mais il pourrait en
    être tout autrement dans d’autres contrées. Facebook en Tunisie est un
    lieu important pour l’information, sans pour autant être un média, ni
    véritablement un distributeur. La nature des interactions qui s’y
    déroulent est très proche de l’essence du ‘téléphone arabe’, il
    s’insère d’une façon très particulière dans une culture millénaire de
    la transmission de l’information, et au sein d’une société qui l’a
    totalement adopté. La façon dont les média sociaux ont pris une
    importance considérable en Tunisie tient aussi au fait qu’avec un âge
    médian de moins de trente ans, la population est jeune et très éduquée.
    Le pays est parsemé d’universités, et le taux de pénétration
    d’internet y est le plus élevé du continent africain.

    Les compétences susceptibles
    d’orchestrer et d’exécuter de telles « infowars » ne manquent pas en
    Tunisie, formées au sein de l’armée numérique de Ben Ali, chez un sous
    traitant ou au sein du parti gouvernemental. Accessoirement, tout ce
    petit monde parle français, ce qui, au vu de la proximité
    qu’entretenait le régime de Ben Ali avec le gouvernement Français,
    particulièrement préoccupé ces dernières années par sa mission
    civilisatrice de l’internet, laisse craindre le pire.

    Récemment, c’est Vincent Glad,
    journaliste chez Slate, qui mettait à jour un stratagème de
    communication utilisé sur Twitter par l’équipe de communication du
    ministre Français des NTIC, Eric Besson, et un personnage fictif,
    @fierdefrance, mis en place depuis quelques temps et avec lequel il
    mettait en scène un échange purement imaginaire destiné à relancer le «
    buzz » politique qui a fait suite à la publication d’une photo de
    Dominique Strauss Khan montant au volant d’une Porshe. Gouvernements,
    partis politiques, entreprises et lobbies, le marché qui s’ouvre à ce
    type de compétences est vaste. La mise au point de logiciels
    sophistiqués de Persona Management annonce le début d’une ère semi
    industrielle de l’infowar et la floraison d’officine occultes –
    certaines étant déjà en service depuis des années.

    Attaquer un adversaire politique,
    déstabiliser un gouvernement, faire taire une information gênante pour
    la conduite des affaires ou déstabiliser le cours de bourse d’un
    concurrent à l’occasion d’une OPA : de quoi intéresser beaucoup de
    monde.

    Fabrice Epelboin sur reflets.info


    sources : http://actualutte.info/?p=4605&utm_medium=twitter&utm_source=twitterfeed
    22 juin 2011

      La date/heure actuelle est Jeu 21 Nov - 19:35