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Le Banquier américain de Hitler
Marc-André Charguéraud
Date edition : 2004
ISBN ou ref : 2-8309-1125-3
Support : livre
Genre : étude historique
Période concernée : de 1870 à 1945
Région concernée : Ouest Europe
Proposé par Christian Favre le mercredi 15 juillet 2009 à 10h22
Le Banquier américain de Hitler
Marc-André Charguéraud
Voici l'introduction du livre. Pour rappel la BRI fut créée afin de permettre à l'Allemagne de rembourser sa dette de la Première Guerre mondiale.
Le 18 juillet 1944, 17 nations alliées sont réunies. Leurs délégués représentent les pays en guerre avec le régime hitlérien. C'est Bretton Woods qui a été choisie, une petite ville de la Nouvelle-Angleterre au nord de Boston. Un havre paisible et bucolique accueille les travaux de ces diplomates. Au même moment, des batailles titanesques font rage au large de cette Amérique lointaine que la guerre a épargnée. Sans la moindre trêve, des centaines de milliers d'hommes périssent. A l'ouest, leurs corps sont engloutis dans les océans ou disparaissent dans la jungle d'îles aux noms aujourd'hui paradisiaques. A l'est, ils meurent en masse dans le bocage normand et la plaine lombarde. Une fois de plus, leur sang abreuve en flots continus les sillons d'une Pologne rendue exsangue par des années de combats sans pitié et par l'extermination barbare de populations civiles entières.
Loin de ce tumulte apocalyptique, les participants à la Conférence de Bretton Woods doivent décider de la mise en place des organisations qui vont assurer les équilibres financiers et tes financements internationaux du monde brisé et meurtri de l'après-guerre qu'il va falloir relever de ses ruines. Ils se penchent sur les fonts baptismaux qui mettront en place la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Ce jour-là, Henri Morgenthau jr., ministre des Finances du gouvernement Roosevelt, s'emporte ; il dénonce un scandale, il accuse. La Banque pour les Règlements Internationaux (BRI), s'exclame-t-il, « est contrôlée par les Allemands ». Péremptoire, il conclut: « je veux insister sur le fait que je considère la BRI comme un instrument des nazis. »'
Comment pouvait-il en être autrement ? La BRI conduit toutes ses opérations de son siège situé à Bâle, en Suisse, c'est-à-dire dans un pays qui restera totalement isolé du monde libre pendant toute la guerre, un pays encerclé et de fait prisonnier des armées nazies et fascistes. « Banquier des Banquiers », comme on l'a parfois appelée, la BRI, pour l'essentiel de son activité, traite de transactions entre banques centrales. Pendant le conflit, ces transactions sont pratiquement toutes exécutées entre les banques centrales d'Europe continentale. Or c'est la Reichsbank à Berlin qui domine alors la scène financière européenne. Directement ou indirectement, les opérations conduites par la BRI concernent le Reich. L'Allemagne d'ailleurs ne cache pas l'importanee qu'elle accorde à la BRI. Dès novembre 1939, Emil Puhl, vice-président de la Reichsbank, l'homme fort de la banque, celui qui sera en liaison constante avec la banque de Bâle, écrivait : « La Reichsbank est intéressée à ce que la BRI continue à fonctionner sans interruption. »
Les faits donnent raison à Morgenthau lorsqu'il parle d'un institut contrôlé par les nazis. Le poids de l'Allemagne dans l'actionnariat de la BRI est décisif. Plus de 70 % des actions sont détenues par des banques centrales qui sont aux ordres de Berlin. Il faut en effet ajouter aux votes détenus par les puissances de l'Axe ceux des banques centrales des pays conquis, occupés ou satellites du Troisième Reich. La direction générale de son côté est inféodée aux autorités du Reich. Le directeur général adjoint est allemand, membre du parti national-socialiste, un ancien de la Reichsbank. Le directeur général est français, mais il est délégué par une Banque de France dont le siège à Paris est sous la tutelle d'un commissaire allemand.
Entre l'Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne, la BRI favorise le dictateur occidental. Elle a transféré aux nazis qui ont envahi le pays les dizaines de tonnes d'or que la Banque nationale de Tchécoslovaquie avait mis à l'abri à Londres. Dans des circonstances semblables, elle refuse aux communistes russes, au moment de leur conquête des Pays baltes, de leur remettre les dépôts d'or possédés par ces pays en Grande-Bretagne. La BRI a dénié aux Soviets ce qu'elle a accordé aux nazis. Cette politique n'est pas étonnante lorsque l'on constate que la BRI a joué le rôle d'agent payeur pour des exportateurs américains de marchandises vers le Reich. Elle intervient même de façon anonyme pour dissimuler le nom des firmes américaines qui participent à ce trafic inacceptable. Il faudra attendre décembre 1941, leur entrée en guerre, pour que les Américains interdisent les transferts de devises vers l'Europe. Alors cette pratique, qui renforce le potentiel de l'économie de guerre allemande, cessera.
Il faut signaler ici un handicap de taille qui accentue l'emprise du Reich sur la BRI. L'essentiel des actifs de celle-ci, soit 300 millions de francs suisses, est investi en Allemagne. Il vaut mieux pour la banque rester en bons termes avec un débiteur qui pendant la guerre n'aurait pas eu le moindre scrupule à rayer d'un trait de plume ses engagements. Paradoxalement, l'Allemagne n'hésite pas à montrer une bonne volonté équivoque comme preuve de son attachement à la BRI. Jusqu'à la fin de la guerre, elle réglera ponctuellement les intérêts sur les capitaux placés dans le pays par la banque de Bâle. Cette bonne volonté, on devrait dire cette priorité, peut paraître suspecte. Les rares moyens de paiement en devises fortes dont la Reichsbank manquait continuellement ne devaient-ils pas être avant tout affectés aux importations indispensables à l'effort de guerre allemand ? Il est vrai qu'une partie de ces transferts ont été réglés en or pillé. Ils permettaient ensuite à la banque bâloise de créditer ses actionnaires d'un dividende en francs suisses réguliers et honnêtes. Une véritable opération de blanchiment d'or nazi.
Comme si ce n'était pas suffisant, la BRI organise pour le compte de la Reichsbank le transport de dizaines de tonnes d'or vers le Portugal et la Yougoslavie. Elle sert aussi de plaque tournante, achetant de l'or allemand pour le revendre plus cher à d'autres pays européens. Dans un rapport officiel récemment publié, Stuart Eizenstat, le Sous-secrétaire d'Etat américain, résume avec une grande sévérité la collaboration de la BRI avec l'Allemagne nazie. Se référant à une enquête menée par le Bureau du gouvernement militaire américain en fin 1945, il écrit : « La BRI a accepté de l'or volé, elle a aidé le Reich à récupérer des avoirs menacés de gel dans des pays neutres. Les intérêts du Reich y prédominaient, elle continua à verser des dividendes aux pays occupés en dépit de l'inévitable confiscation de ces montants par les nazis, elle a fourni des renseignements financiers à la Reichsbank. »
Qui pouvait présider aux destinées d'un tel établissement ? Un Allemand, voire un banquier européen acquis à l'idéologie fasciste ou du moins proche des milieux totalitaires ? Non, quelques semaines avant le début de la guerre, ce fut un citoyen des Etats¬Unis qui accepta de devenir le « banquier américain de Hitler » : Thomas Harrington McKittrick. Il réussit à gagner puis à conserver la confiance des autorités nazies au point qu'elles approuvèrent le renouvellement de son mandat pour trois ans en 1942. Curieusement, les remontrances parfois sévères des Alliés à son égard n'allèrent jamais jusqu'à la remise en cause des activités qu'il déployait en faveur du Reich. Ce « président américain de la BRI fait des affaires avec l'Allemagne pendant que nos jeunes au front se font massacrer par les Allemands », accusait pourtant un directeur du ministère des Finances américain dans le New York Herald Tribune du 27 juillet 1944 .
A la fin du conflit, bien que très critiqué, McKittrick fut maintenu à son poste. D'autres ont été écartés de leurs fonctions voire condamnés pour des faits bien plus anodins. Pour la Banque bâloise, il n'y eut pas « d'épuration ». Dans les lignes qui suivent, c'est cette singularité contraire à tout sentiment d'équité qui est examinée. Elle résulte d'une succession de situations plus incroyables et invraisemblables les unes que les autres. On a en effet du mal à imaginer comment en pleine conflagration mondiale, alors qu'ils s'entretuaient par millions dans une lutte sans merci, il fut possible à des Américains, Anglais, Français, Allemands, Italiens et Japonais de travailler ensemble dans la sérénité et le calme de leurs bureaux helvétiques. Certains Anglo-saxons n'hésitèrent pas à qualifier cette activité au service d'une Europe dominée par Hitler de trahison de la cause alliée.
Editeur : Labor et FidesLe 18 juillet 1944, 17 nations alliées sont réunies. Leurs délégués représentent les pays en guerre avec le régime hitlérien. C'est Bretton Woods qui a été choisie, une petite ville de la Nouvelle-Angleterre au nord de Boston. Un havre paisible et bucolique accueille les travaux de ces diplomates. Au même moment, des batailles titanesques font rage au large de cette Amérique lointaine que la guerre a épargnée. Sans la moindre trêve, des centaines de milliers d'hommes périssent. A l'ouest, leurs corps sont engloutis dans les océans ou disparaissent dans la jungle d'îles aux noms aujourd'hui paradisiaques. A l'est, ils meurent en masse dans le bocage normand et la plaine lombarde. Une fois de plus, leur sang abreuve en flots continus les sillons d'une Pologne rendue exsangue par des années de combats sans pitié et par l'extermination barbare de populations civiles entières.
Loin de ce tumulte apocalyptique, les participants à la Conférence de Bretton Woods doivent décider de la mise en place des organisations qui vont assurer les équilibres financiers et tes financements internationaux du monde brisé et meurtri de l'après-guerre qu'il va falloir relever de ses ruines. Ils se penchent sur les fonts baptismaux qui mettront en place la Banque mondiale et le Fonds monétaire international. Ce jour-là, Henri Morgenthau jr., ministre des Finances du gouvernement Roosevelt, s'emporte ; il dénonce un scandale, il accuse. La Banque pour les Règlements Internationaux (BRI), s'exclame-t-il, « est contrôlée par les Allemands ». Péremptoire, il conclut: « je veux insister sur le fait que je considère la BRI comme un instrument des nazis. »'
Comment pouvait-il en être autrement ? La BRI conduit toutes ses opérations de son siège situé à Bâle, en Suisse, c'est-à-dire dans un pays qui restera totalement isolé du monde libre pendant toute la guerre, un pays encerclé et de fait prisonnier des armées nazies et fascistes. « Banquier des Banquiers », comme on l'a parfois appelée, la BRI, pour l'essentiel de son activité, traite de transactions entre banques centrales. Pendant le conflit, ces transactions sont pratiquement toutes exécutées entre les banques centrales d'Europe continentale. Or c'est la Reichsbank à Berlin qui domine alors la scène financière européenne. Directement ou indirectement, les opérations conduites par la BRI concernent le Reich. L'Allemagne d'ailleurs ne cache pas l'importanee qu'elle accorde à la BRI. Dès novembre 1939, Emil Puhl, vice-président de la Reichsbank, l'homme fort de la banque, celui qui sera en liaison constante avec la banque de Bâle, écrivait : « La Reichsbank est intéressée à ce que la BRI continue à fonctionner sans interruption. »
Les faits donnent raison à Morgenthau lorsqu'il parle d'un institut contrôlé par les nazis. Le poids de l'Allemagne dans l'actionnariat de la BRI est décisif. Plus de 70 % des actions sont détenues par des banques centrales qui sont aux ordres de Berlin. Il faut en effet ajouter aux votes détenus par les puissances de l'Axe ceux des banques centrales des pays conquis, occupés ou satellites du Troisième Reich. La direction générale de son côté est inféodée aux autorités du Reich. Le directeur général adjoint est allemand, membre du parti national-socialiste, un ancien de la Reichsbank. Le directeur général est français, mais il est délégué par une Banque de France dont le siège à Paris est sous la tutelle d'un commissaire allemand.
Entre l'Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne, la BRI favorise le dictateur occidental. Elle a transféré aux nazis qui ont envahi le pays les dizaines de tonnes d'or que la Banque nationale de Tchécoslovaquie avait mis à l'abri à Londres. Dans des circonstances semblables, elle refuse aux communistes russes, au moment de leur conquête des Pays baltes, de leur remettre les dépôts d'or possédés par ces pays en Grande-Bretagne. La BRI a dénié aux Soviets ce qu'elle a accordé aux nazis. Cette politique n'est pas étonnante lorsque l'on constate que la BRI a joué le rôle d'agent payeur pour des exportateurs américains de marchandises vers le Reich. Elle intervient même de façon anonyme pour dissimuler le nom des firmes américaines qui participent à ce trafic inacceptable. Il faudra attendre décembre 1941, leur entrée en guerre, pour que les Américains interdisent les transferts de devises vers l'Europe. Alors cette pratique, qui renforce le potentiel de l'économie de guerre allemande, cessera.
Il faut signaler ici un handicap de taille qui accentue l'emprise du Reich sur la BRI. L'essentiel des actifs de celle-ci, soit 300 millions de francs suisses, est investi en Allemagne. Il vaut mieux pour la banque rester en bons termes avec un débiteur qui pendant la guerre n'aurait pas eu le moindre scrupule à rayer d'un trait de plume ses engagements. Paradoxalement, l'Allemagne n'hésite pas à montrer une bonne volonté équivoque comme preuve de son attachement à la BRI. Jusqu'à la fin de la guerre, elle réglera ponctuellement les intérêts sur les capitaux placés dans le pays par la banque de Bâle. Cette bonne volonté, on devrait dire cette priorité, peut paraître suspecte. Les rares moyens de paiement en devises fortes dont la Reichsbank manquait continuellement ne devaient-ils pas être avant tout affectés aux importations indispensables à l'effort de guerre allemand ? Il est vrai qu'une partie de ces transferts ont été réglés en or pillé. Ils permettaient ensuite à la banque bâloise de créditer ses actionnaires d'un dividende en francs suisses réguliers et honnêtes. Une véritable opération de blanchiment d'or nazi.
Comme si ce n'était pas suffisant, la BRI organise pour le compte de la Reichsbank le transport de dizaines de tonnes d'or vers le Portugal et la Yougoslavie. Elle sert aussi de plaque tournante, achetant de l'or allemand pour le revendre plus cher à d'autres pays européens. Dans un rapport officiel récemment publié, Stuart Eizenstat, le Sous-secrétaire d'Etat américain, résume avec une grande sévérité la collaboration de la BRI avec l'Allemagne nazie. Se référant à une enquête menée par le Bureau du gouvernement militaire américain en fin 1945, il écrit : « La BRI a accepté de l'or volé, elle a aidé le Reich à récupérer des avoirs menacés de gel dans des pays neutres. Les intérêts du Reich y prédominaient, elle continua à verser des dividendes aux pays occupés en dépit de l'inévitable confiscation de ces montants par les nazis, elle a fourni des renseignements financiers à la Reichsbank. »
Qui pouvait présider aux destinées d'un tel établissement ? Un Allemand, voire un banquier européen acquis à l'idéologie fasciste ou du moins proche des milieux totalitaires ? Non, quelques semaines avant le début de la guerre, ce fut un citoyen des Etats¬Unis qui accepta de devenir le « banquier américain de Hitler » : Thomas Harrington McKittrick. Il réussit à gagner puis à conserver la confiance des autorités nazies au point qu'elles approuvèrent le renouvellement de son mandat pour trois ans en 1942. Curieusement, les remontrances parfois sévères des Alliés à son égard n'allèrent jamais jusqu'à la remise en cause des activités qu'il déployait en faveur du Reich. Ce « président américain de la BRI fait des affaires avec l'Allemagne pendant que nos jeunes au front se font massacrer par les Allemands », accusait pourtant un directeur du ministère des Finances américain dans le New York Herald Tribune du 27 juillet 1944 .
A la fin du conflit, bien que très critiqué, McKittrick fut maintenu à son poste. D'autres ont été écartés de leurs fonctions voire condamnés pour des faits bien plus anodins. Pour la Banque bâloise, il n'y eut pas « d'épuration ». Dans les lignes qui suivent, c'est cette singularité contraire à tout sentiment d'équité qui est examinée. Elle résulte d'une succession de situations plus incroyables et invraisemblables les unes que les autres. On a en effet du mal à imaginer comment en pleine conflagration mondiale, alors qu'ils s'entretuaient par millions dans une lutte sans merci, il fut possible à des Américains, Anglais, Français, Allemands, Italiens et Japonais de travailler ensemble dans la sérénité et le calme de leurs bureaux helvétiques. Certains Anglo-saxons n'hésitèrent pas à qualifier cette activité au service d'une Europe dominée par Hitler de trahison de la cause alliée.
Date edition : 2004
ISBN ou ref : 2-8309-1125-3
Support : livre
Genre : étude historique
Période concernée : de 1870 à 1945
Région concernée : Ouest Europe
Proposé par Christian Favre le mercredi 15 juillet 2009 à 10h22