Une interview de Benjamin Coriat ce matin pour Euronews
“Il faut se redonner du temps pour construire des politiques de croissance”16/09 10:42 CET
Crise économique - France - L’eurozone en crise Benjamin Coriat est professeur d’économie à l’Université Paris-XIII
Villetaneuse et co-président du mouvement des économistes atterrés. Ces
experts cherchent à faire entendre une analyse différente de la crise
que celle qui est, selon eux, majoritairement proposée au public. Ils
viennent de publier un ouvrage collectif sur la crise en Europe, « 20
ans d’aveuglement : l’Europe au bord du Gouffre. », édité aux éditions LLL. Vous plaidiez contre l’austérité, or les plans d’austérité
se sont multipliés ces dernières semaines. Etes-vous donc plus
pessimistes aujourd’hui qu’il y a un an et demi ? Oui. Nous sommes dans le scénario catastrophe, celui de la
généralisation des plans d’austérité en Europe. D’une part la troïka
[FMI, BCE, UE – NDLR]
impose des plans à la Grèce, l’Irlande et le Portugal. D’autre part,
des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la France s’imposent des plans
eux-mêmes.
Notre conviction est que l’austérité ne permet pas de faire face à
la dette, encore moins à la crise. Au contraire, l’austérité a entraîné
la récession qui a augmenté la dette rapportée au PIB. Le FMI et l’OCDE
etc. ont du coup revu les perspectives de croissance à la baisse à la
fin de l’été, créant une situation encore plus tendue. C’est d’ailleurs
ce que l’on a vu de manière spectaculaire en Grèce. Le régime de cheval
imposé aux Grecs – descendre de 12,7% à 3% de déficit en trois ans –
était une pure folie. Au-delà des difficultés prévisibles liées au plan,
les réformes demandées à la Grèce ne peuvent pas se mettre en place et
produire des résultats en un an et demi. Par contre, les effets de
récession créés par les coupures budgétaires sont, eux, immédiats.
On évoque de plus en plus la possible faillite de la Grèce voire sa sortie de la zone euro. Croyez-vous cette issue possible ? On ne peut plus du tout exclure un défaut total de la Grèce.
Cependant nous ne souhaitons pas une sortie de la Grèce de la zone euro.
Nous considérons que la zone euro doit être profondément modifiée mais
qu’elle doit être sauvée.
Nous regrettons que le problème de la Grèce n’a pas été traité
pendant qu’il était encore temps, il y a un an voire six mois. Il n’y
avait alors que deux solutions. Il aurait fallu faire procéder à des
abandons de créances de l’ordre de 30 à 50%. Compte tenu de la faiblesse
relative de la dette grecque, les marchés pouvaient absorber ce défaut
partiel de paiement. On aurait ainsi pu éviter l’insolvabilité générale.
La deuxième solution, même si j’y croyais moins, aurait consisté à
manifester une vraie solidarité avec la Grèce. Il aurait fallu
restructurer a minima les taux d’intérêt et revoir entièrement les
durées pour lui permettre de sortir de sa crise de dette sur 10 ans ou
15 ans, comme cela se fait en général. En effet, pour résorber la dette
il faut un minimum de croissance et cela ne peut jamais se faire en
trois ans.
Maintenant, même le second plan a beaucoup de mal à se mettre en
place. Le temps de la politique n’est pas celui des marchés financiers.
Il faut absolument se redonner du temps pour construire des politiques
de croissance.
Quelle est, selon vous, la part de responsabilité des marchés ? Ils ont voulu la récession ; ils ont exercé une pression absolument
astronomique pour obtenir des plans de restructuration permettant de
dégager des excédents budgétaires et maintenant ils sont complètement
affolés. On s’est enfermé dans un cercle vicieux : on est en récession
et les marchés financiers poussent à des aggravations permanentes.
Si on résume, la crise a démarré en 2007/2009 par une crise bancaire
et financière privée. Pour sortir de cette crise, l’endettement a été
transféré vers le secteur public. Ce dernier a assumé la dette privée,
comme l’Irlande l’a fait à hauteur de 70 milliards d’euros.
Les marchés – tout juste sauvés – ont alors analysé cet endettement
public. Cela a donné lieu à des choses très étonnantes du type ‘’vous
m’avez sauvé mais vous ne pouvez plus me payer donc j’exige des plans
d’austérité’’. Et maintenant, les marchés réalisent qu’avec ces plans
d’austérité et la récession, les Etats ne peuvent toujours pas les
payer. Nous sommes dans une situation extrêmement difficile que les
marchés ont eux-mêmes provoquée. Il y a une vague de spéculation sur la
dette d’autant plus déchaînée que les marchés n’ont jamais payé le prix
de leurs frasques et qu’ils agissent dans une impunité générale.
L’UE semble avoir du mal à prendre des décisions.
Pensez-vous que cela soit dû à une faiblesse politique des Etats, une
faiblesse structurelle de l’Union ou à l’action d’un “lobby libéral” ? Il s’agit d’une combinaison des deux derniers motifs. Nous pensons
et n’avons cessé de dire qu’il y a une double défaillance
institutionnelle de la zone euro. D’une part, l’article 135 du Traité de
Lisbonne interdit la solidarité entre Etats membre en cas de
défaillance. D’autre part, la BCE n’a pas le
droit d’acheter de la dette. L’Europe a donc mis son sort entre les
mains des marchés financiers puisqu’elle a décidé que ses dettes
publiques ne pourraient être achetées que par les marchés financiers.
Dans votre manifeste, vous préconisiez déjà le recours à des
euro-obligations. Etes-vous toujours de cet avis alors que la
Commission a réitéré cette semaine son soutien à cette solution par la
voix de José Manuel Barroso ? Oui. Je pense qu’une mutualisation de la dette publique européenne,
levée par une institution européenne à des taux d’intérêt bas, est
incontestablement un pilier indispensable au maintien de la zone euro.
La reprise d’une politique active de fonds structurels est, elle
aussi, essentielle pour permettre à certains pays de rattraper leur
retard. A défaut, les mêmes causes vont produire les mêmes effets. Pour
le moment, il y a des écarts de croissance et de compétitivité
considérables qui ne sont pas tenables entre Etats.
Une relance économique dans la zone euro n’est pas irréaliste. Les
pays excédentaires, comme l’Allemagne, l’Autriche ou la Finlande,
doivent juste accepter un certain niveau de relance. Ils sont capables
de relancer la croissance en Europe. Au contraire, si l’on reste dans un
jeu de défiance relative, sans solidarité sur la monnaie, sans relance
etc. permettant de revenir à une homogénéisation de l’Europe, la zone
euro va sauter.
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