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http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_indignez-vous-bande-de-moules?id=6332623
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Puisque c'est à la mode, je voudrais pousser ici, moi aussi, ma petite indignation personnelle. Pour cela, j'ai voulu bien faire les choses et je me suis farci ce week-end « Indignez-vous » de Stéphane Hessel.
Je conseille la lecture de ce très petit ouvrage. C'est un cri argumenté, posé et émouvant d'un témoin du siècle, qui à 93 ans, a vécu de près ces sombres heures de la Seconde Guerre Mondiale où ceux qui ont choisi un camp ont pris tous les risques, et qui a participé à la construction de la société d'après-guerre devant se reconstruire sur des valeurs devant permettre d'éviter à l'avenir de telles horreurs.
Quand Stéphane Hessel utilise ses ressources pour cibler ses indignations contemporaines, en revanche, l'exercice devient plus laborieux. L'auteur le reconnaît lui-même : en 40, au moins, choisir sa cible était simple.
Les méchants avaient vraiment l'air de méchants. Il fallait être idéologiquement très allumé pour trouver une once de démocratie et de projet humain dans l'aventure nazie, ses soldats défilant au pas de l'oie et son antisémitisme pathologique.
Attention : il était facile de trouver la cible, mais évidemment pas facile du tout pour autant de s'indigner. Les résistants morts sous la torture et dans les camps nous le rappellent s'indigner ce n'est pas une question de bruits, mais d'actes. Et ce n'est pas forcément ceux qui se plaignent le plus fort qui s'indignent le plus efficacement.
Aujourd'hui, ici, on a un peu l'impression que c'est l'inverse : il est très facile de s'indigner, et très difficile de choisir contre quoi le faire.
Ces jeunes qui font des sittings ou des manifs ça et là dans Bruxelles, alors qu'ils n'ont pas une dictature à renverser comme les révolutionnaires arabes, ou de l'austérité à combattre comme en Espagne, me semblent symptomatiques de cette frustration sans étendard.
Sont-ils d'accord entre eux sur l'objet de leur courroux ? A les écouter, rien n'est moins sûr. M. Hessel lui-même, dans son ouvrage, reconnaît que le monde est devenu d'une telle interconnexion, d'une telle complexité que la désignation des cibles d'indignation est aujourd'hui bien moins risquée, certes, mais beaucoup plus aléatoire.
Des cibles, Stéphane Hessel en propose quelques-unes : les banques, l'austérité, le néolibéralisme, Israël, etc. Des cibles légitimes, mais qui ne sont que les cibles habituelles du politiquement correct. C'est terrible, le politiquement correct.
Ça conduit à ne voir que les choses simples, et à refuser d'entrer dans la complexité, celle qui forcerait à passer du radicalisme à la nuance. Et ça permet de faire croire qu'il n'y a que des solutions simples à nos problèmes - ce qui en général, ne nous apporte que d'autres problèmes, puisque les radicaux se justifient les uns par les autres. Indignons-nous tous contre tout, et à bas la nuance.
Réjouissons-nous d'avoir un ennemi, fut-il conceptuel et flottant. C'est facile, ça dispense de se salir les mains, et ça peut même donner l'impression d'avoir une véritable opinion.
Je ne dis pas qu'il ne faut pas s'indigner, bien au contraire. Je dis juste que, peut-être, s'indigner ce n'est pas se faire plaisir en montrant qu'on n'aime pas le monde tel qu'il est. Je dis juste que s'indigner, ce n'est pas donner de la visibilité à sa frustration, mais c'est au contraire prendre les outils que nous offre ce monde imparfait pour le changer.
Nous ne sommes pas à Tunis ou au Caire, où seul le rassemblement d'une foule pouvait faire plier une dictature. Nous ne sommes même pas à Athènes, où au moins les jeunes ont des raisons de se plaindre, et mettent en avant leur orgueil avant leur colère.
Le monde d'aujourd'hui est rempli d'inégalités et d'injustices, d'accord. Mais il est aussi plein d'opportunités, qui donnent des responsabilités à ceux qui ont les moyens d'agir. Chers indignés, voulez-vous vraiment changer le monde ? Rangez vos tentes et prenez les outils de votre siècle.
Vous voulez encadrer les banques et les profits ? Créez une boîte qui créera des emplois, donnera du sens à vos envies, et apportera quelque chose de neuf. Vous avez mieux sous le coude que le libéralisme économique ? Développez un modèle nouveau à proposer démocratiquement, ou lancez-vous en politique.
Vous voulez réduire les injustices ? Échangez vos manifs contre un voyage au tiers-monde pour y construire un hôpital ou développer le micro-crédit ; ou encore engagez-vous dans l'associatif ou le culturel, pour donner aux plus précarisés les outils pour se réinsérer.
Mais jamais, au grand jamais, ne vous croyez quittes de votre bonne conscience sous prétexte que vous avez planté cinq tentes place Flagey. Arrêtez de chercher vos ennemis pour exister, cherchez ce que vous pouvez changer.
Ou, comme disait Gandhi,« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Vous voyez, mon cher Arnaud, au fond... on est toujours l'indigné de quelqu'un.
François De Smet
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http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_indignez-vous-bande-de-moules?id=6332623
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Puisque c'est à la mode, je voudrais pousser ici, moi aussi, ma petite indignation personnelle. Pour cela, j'ai voulu bien faire les choses et je me suis farci ce week-end « Indignez-vous » de Stéphane Hessel.
Je conseille la lecture de ce très petit ouvrage. C'est un cri argumenté, posé et émouvant d'un témoin du siècle, qui à 93 ans, a vécu de près ces sombres heures de la Seconde Guerre Mondiale où ceux qui ont choisi un camp ont pris tous les risques, et qui a participé à la construction de la société d'après-guerre devant se reconstruire sur des valeurs devant permettre d'éviter à l'avenir de telles horreurs.
Quand Stéphane Hessel utilise ses ressources pour cibler ses indignations contemporaines, en revanche, l'exercice devient plus laborieux. L'auteur le reconnaît lui-même : en 40, au moins, choisir sa cible était simple.
Les méchants avaient vraiment l'air de méchants. Il fallait être idéologiquement très allumé pour trouver une once de démocratie et de projet humain dans l'aventure nazie, ses soldats défilant au pas de l'oie et son antisémitisme pathologique.
Attention : il était facile de trouver la cible, mais évidemment pas facile du tout pour autant de s'indigner. Les résistants morts sous la torture et dans les camps nous le rappellent s'indigner ce n'est pas une question de bruits, mais d'actes. Et ce n'est pas forcément ceux qui se plaignent le plus fort qui s'indignent le plus efficacement.
Aujourd'hui, ici, on a un peu l'impression que c'est l'inverse : il est très facile de s'indigner, et très difficile de choisir contre quoi le faire.
Ces jeunes qui font des sittings ou des manifs ça et là dans Bruxelles, alors qu'ils n'ont pas une dictature à renverser comme les révolutionnaires arabes, ou de l'austérité à combattre comme en Espagne, me semblent symptomatiques de cette frustration sans étendard.
Sont-ils d'accord entre eux sur l'objet de leur courroux ? A les écouter, rien n'est moins sûr. M. Hessel lui-même, dans son ouvrage, reconnaît que le monde est devenu d'une telle interconnexion, d'une telle complexité que la désignation des cibles d'indignation est aujourd'hui bien moins risquée, certes, mais beaucoup plus aléatoire.
Des cibles, Stéphane Hessel en propose quelques-unes : les banques, l'austérité, le néolibéralisme, Israël, etc. Des cibles légitimes, mais qui ne sont que les cibles habituelles du politiquement correct. C'est terrible, le politiquement correct.
Ça conduit à ne voir que les choses simples, et à refuser d'entrer dans la complexité, celle qui forcerait à passer du radicalisme à la nuance. Et ça permet de faire croire qu'il n'y a que des solutions simples à nos problèmes - ce qui en général, ne nous apporte que d'autres problèmes, puisque les radicaux se justifient les uns par les autres. Indignons-nous tous contre tout, et à bas la nuance.
Réjouissons-nous d'avoir un ennemi, fut-il conceptuel et flottant. C'est facile, ça dispense de se salir les mains, et ça peut même donner l'impression d'avoir une véritable opinion.
Je ne dis pas qu'il ne faut pas s'indigner, bien au contraire. Je dis juste que, peut-être, s'indigner ce n'est pas se faire plaisir en montrant qu'on n'aime pas le monde tel qu'il est. Je dis juste que s'indigner, ce n'est pas donner de la visibilité à sa frustration, mais c'est au contraire prendre les outils que nous offre ce monde imparfait pour le changer.
Nous ne sommes pas à Tunis ou au Caire, où seul le rassemblement d'une foule pouvait faire plier une dictature. Nous ne sommes même pas à Athènes, où au moins les jeunes ont des raisons de se plaindre, et mettent en avant leur orgueil avant leur colère.
Le monde d'aujourd'hui est rempli d'inégalités et d'injustices, d'accord. Mais il est aussi plein d'opportunités, qui donnent des responsabilités à ceux qui ont les moyens d'agir. Chers indignés, voulez-vous vraiment changer le monde ? Rangez vos tentes et prenez les outils de votre siècle.
Vous voulez encadrer les banques et les profits ? Créez une boîte qui créera des emplois, donnera du sens à vos envies, et apportera quelque chose de neuf. Vous avez mieux sous le coude que le libéralisme économique ? Développez un modèle nouveau à proposer démocratiquement, ou lancez-vous en politique.
Vous voulez réduire les injustices ? Échangez vos manifs contre un voyage au tiers-monde pour y construire un hôpital ou développer le micro-crédit ; ou encore engagez-vous dans l'associatif ou le culturel, pour donner aux plus précarisés les outils pour se réinsérer.
Mais jamais, au grand jamais, ne vous croyez quittes de votre bonne conscience sous prétexte que vous avez planté cinq tentes place Flagey. Arrêtez de chercher vos ennemis pour exister, cherchez ce que vous pouvez changer.
Ou, comme disait Gandhi,« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Vous voyez, mon cher Arnaud, au fond... on est toujours l'indigné de quelqu'un.
François De Smet