Stéphane Hessel, de l'indignation à l'engagement Publié le dimanche 10 juillet 2011 à 10H52
L'auteur de "Indignez-vous", 2 millions d'exemplaires, était à Avignon le 9 juillet
Stéphane Hessel, hier à Avignon, à la rencontre de ses lecteurs. Revenant, face à eux, sur la nécessité de s'engager, forcément.
Photo Cyril Hiely
Standing ovation pour Stéphane Hessel, hier matin, au cinéma
Utopia d'Avignon. Le nonagénaire le plus actif de France était de
passage dans la cité des papes d'abord pour une séance de dédicaces de
deux récents ouvrages,
Indignez-vous! (Indigènes éditions) et
Engagez-vous! (éditions
de l'Aube, une maison vauclusienne, en collaboration avec Gilles
Vanderpooten) dont le retentissement dans le débat public a été
considérable en Europe ces derniers mois. Invité l'après-midi par
l'association Agora Café politique, il est revenu à la Maison
Jean-Vilar, sur la nécessité de s'engager, lui qui fut résistant dès
1941 et corédacteur de la déclaration universelle des droits de l'Homme.
Rencontre avec un éternel indigné.
Stéphane Hessel,
avez-vous été surpris du succès "d'Indignez vous!" et de son
retentissement en France, en Europe et même au-delà ?Stéphane Hessel : Et même au-delà, oui. Quand nous l'avons rédigé au mois d'octobre de
l'année dernière, nous pensions surtout naturellement à la France. Nous
nous référions au programme du Conseil national de la résistance, qui
est vieux déjà de presque 70 ans, et nous pensions que cela
intéresserait des Français soucieux de voir que ces valeurs, d'ailleurs
reprises en partie par la déclaration universelle des droits de l'Homme,
n'étaient plus maintenues avec la force nécessaire par nos dirigeants.
Et effectivement, en France, presque deux millions d'exemplaires ont été
vendus. Ce qui nous a surpris, c'est qu'au même moment, dans le monde
méditerranéen, en Tunisie, en Égypte, des mouvements de contestation se
sont manifestés. C'était à l'évidence des mouvements d'indignation. Ce
qui fait que ce petit livre qui n'apporte pas beaucoup d'idées
originales, qui ne fait que réaffirmer les valeurs de la démocratie et
de l'internationalisme, est tombé à un moment où il a intéressé le monde
entier.
Pouviez-vous imaginer que de jeunes Européens
s'emparent de ce livre et s'engagent, au point de se baptiser eux-mêmes
"Les Indignés" ?
Le mot a eu un succès considérable.
Naturellement, l'idée d'indignation est courante. On peut s'indigner
sans avoir eu accès à mon petit livre mais comme il a été assez vite
répandu, il a pu servir des mouvements de contestation en Grèce, en
Espagne, en Catalogne et même à Paris et ailleurs en France. Chez nous
aussi, il y a eu des mouvements se référant à ce terme "d'indignés". Les
"indignés", c'est aujourd'hui une catégorie mais ce n'est pas mon petit
livre qui l'a créée.
Pourquoi ce mouvement tarde-t-il à prendre en France, où la jeunesse a aussi quelques raisons de se plaindre ?
Je crois qu'un mouvement prend, ou pas, pour des raisons tenant à la
chronologie et à l'histoire. En France, actuellement, nous nous
préparons à une élection présidentielle. Pour beaucoup de gens qui sont
hostiles à l'équipe dirigeante actuelle, une indignation immédiate, ce
n'est pas ce qui les intéresse le plus. C'est le cas aussi en Allemagne,
où les gens sont à peu près satisfaits de la manière dont ils sont
gouvernés. Mais lorsque ça prend, ça peut aller très vite...
Vous
attendiez-vous à ce qu'une partie des intellectuels et de la classe
politique traite votre livre par ce dédain voire cette haine, alors
qu'il réaffirme des valeurs issues de la résistance ? Non,
je ne suis pas surpris qu'il y ait partout dans le monde, et même en
France, des gens qui continuent de penser en termes de nationalisme et
de refus de l'autre, mais il faut les combattre !
De
l'indignation, vous dites qu'il faut passer à l'engagement. Vous-même,
vous engagerez vous en faveur d'un candidat à l'élection présidentielle ? Oui, je me suis prononcé voici plusieurs mois déjà pour ce nouveau
groupe intéressant et impertinent qu'est Europe écologie - Les Verts.
D'abord parce que j'ai beaucoup d'amitié pour Dany Cohn-Bendit, dont je
soutiens la pensée. Je suis aussi traditionnellement aux côtés du Parti
socialiste et, parmi les socialistes qui ont des chances de l'emporter,
je soutiens à fond Martine Aubry. J'ai beaucoup d'amitié et de
considération pour elle, je la trouve plus convaincante que François
Hollande. Je trouve d'ailleurs très bien que le PS organise cette
primaire, pour qu'on évite cette situation affreuse de 2002, où
Jean-Marie Le Pen a eu plus de voix que la gauche. Pour éviter cela,
regroupons-nous autour de la principale formation de gauche. J'espère
donc qu'Europe écologie-Les Verts ne présentera pas de candidat à la
présidentielle mais passera des accords avec le PS aux législatives pour
avoir une bonne représentation au Parlement. Et ce, quelque soit le
candidat qui sera choisi.
Ici, à Avignon, une
compagnie aixoise baptisée "Ainsi de suite", qui joue un spectacle
intitulé "Duo pour un mur" a lancé l'idée d'une journée internationale
contre les murs de séparation le 9 novembre, date anniversaire de la
chute du mur de Berlin. Vous leur avez apporté votre soutien, pourquoi ?
Je suis allé plusieurs fois en Palestine, j'ai été
cinq fois à Gaza, je considère que le gouvernement israélien actuel est
le plus détestable qu'Israël ait jamais eu. Et je suis scandalisé que
les Européens et les Américains n'exercent pas plus de pressions sur ce
gouvernement pour que les droits des Palestiniens soient enfin reconnus.
Ce qui vient encore de se passer avec la manière dont Israël a empêché
des gens d'aller protester contre ce mur illégal, puisque la cour
internationale de justice l'a dit en 2004, est tout aussi scandaleux.
Et puis il y a d'autres murs, hélas, que celui qu'ont construit les
Israéliens. Et il y a aussi des murs psychologiques, intellectuels, qui
séparent deux collectivités qui devraient pouvoir s'entendre.
Protester
contre le concept de mur, pour ce désir d'une solidarité plus grande,
c'est la cause que je défends depuis toujours. Stéphane Hessel sera de
nouveau à Avignon le 19 juillet, à 15 h, pour un débat avec Edgard Morin
sur la "tentation réactionnaire" organisé au gymnase du lycée
Saint-Joseph par le festival d'Avignon dans le cadre de son "Théâtre des
idées". Entrée libre.
Propos recueillis par Joël RUMELL
LA PROVENCE
sources : http://www.laprovence.com/article/a-la-une/stephane-hessel-de-lindignation-a-lengagement