L'Espagne adopte sa loi Hadopi sous la pression américaine
Par Chloé Woitier
Les internautes espagnols sont parmi les plus gros téléchargeurs d'Europe. Crédits photo : Abaca/Apaydin Alain/ABACA
Des documents officiels révélés par les médias espagnols dévoilent les menaces économiques opérées par les États-Unis pour que Madrid mette en application une loi sanctionnant les sites violant le droit d'auteur.
Alors que les internautes espagnols la croyaient morte et enterrée, la loi dite Sinde de lutte contre le téléchargement illégal entrera finalement en application à partir du mois de mars grâce au nouveau gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Un revirement de situation qui pourrait bien être dû au lobbying intensif de Washington, porte-voix de l'industrie américaine du cinéma et de la musique.
Le quotidien El Pais a en effet publié mercredi une lettre de l'ambassadeur américain à Madrid destinée à Jose Luis Zapatero, alors premier ministre socialiste en exercice, et envoyée en copie aux ministres de l'Intérieur, de la Culture et de la Justice. Datée du 12 décembre, la missive soulignait «la profonde inquiétude» des États-Unis face à «l'échec du gouvernement espagnol à aller jusqu'au bout dans ce dossier pour des raisons politiques, au détriment de la réputation de l'Espagne et de son économie». Quelques heures plus tôt, Jose Luis Zapatero avait annoncé qu'il avait renoncé à publier les décrets techniques permettant l'application de ce texte, pourtant voté par le Parlement et le Sénat. Le premier ministre avait justifié sa décision en évoquant des «divergences» de vue au sein du gouvernement et la «contestation massive» des internautes espagnols.
Menaces de sanctions commerciales
Le contenu de la lettre dévoilée par El Pais ne fait aucun doute quant à l'objectif des officiels américains: faire changer d'avis Zapatero avant que le Parti Populaire de Mariono Rajoy, qui s'était opposé à la loi Sinde avant de finalement la voter, n'accède au pouvoir fin décembre. Pour cela, l'ambassadeur américain a averti le chef du gouvernement espagnol que son pays risquait fort de se retrouver sur la «Priority Watch List» (liste de surveillance prioritaire) des «pires violateurs des droits de la propriété intellectuelle», où se trouve déjà la Chine, l'Inde ou la Russie. En clair, l'Espagne risquait de subir de très sérieuses sanctions commerciales de la part des États-Unis pour avoir refusé de mettre en application une législation anti-piratage.
Jose Luis Zapatero n'a pas répondu aux demandes américaines. Mais à peine arrivé au pouvoir, le gouvernement de son successeur, Mariano Rajoy, s'est empressé d'adopter les décrets techniques nécessaires. Les médias espagnols ont révélé que Mariano Rajoy avait reçu quelques heures auparavant une lettre de la Chambre de Commerce américaine en Espagne menaçant le pays de sanctions économiques.
Une loi écrite sous la pression américaine
Ces pressions américaines ne sont pas nouvelles. Les télégrammes diplomatiques américains révélés en 2010 par WikiLeaks démontrent que les États-Unis ont forcé la main du gouvernement espagnol afin d'obtenir une loi anti-piratage. Les grandes majors américaines de la culture et du divertissement voient en effet l'Espagne comme le mauvais élève de l'Union européenne. Selon une étude Nielsen, 45% des internautes espagnols pirateraient régulièrement des oeuvres soumises au droit d'auteur via les réseaux peer-to-peer, contre 23% dans les cinq principaux pays européens. Le réseau diplomatique américain se devait donc d'intervenir pour préserver les intérêts économiques de l'industrie du divertissement.
En 2008, l'ambassade américaine à Madrid a proposé «de dire au nouveau gouvernement [de Zapatero] que l'Espagne allait se retrouver sur la Watch List s'il ne s'engageait pas sur trois points d'ici octobre 2008», peut-on lire dans un câble diplomatique révélé par WikiLeaks. Ces points sont: «rappeler que le piratage sur Internet est illégal», «amender une circulaire de 2006 que beaucoup voient comme un texte rendant légal le partage de fichiers en peer-to-peer», et «annoncer que le gouvernement va adopter des mesures sur le modèle français ou britannique afin de faire baisser la courbe des téléchargements illégaux d'ici l'été 2009». Le projet de loi Sinde a été dévoilé par le gouvernement de José Luis Zapatero le 27 novembre 2009. D'autres télégrammes montrent que le gouvernement Zapatero a demandé l'aide des États-Unis pour persuader l'opposition d'adopter cette loi.
Hadopi, «une priorité très importante» pour l'industrie américaine
Les documents de WikiLeaks montrent que la diplomatie américaine a vanté la Hadopi française auprès des responsables espagnols. L'adoption de la loi française a en effet été suivie de très près par les Américains, si l'on en croit les télégrammes diplomatiques de WikiLeaks.
«L'ambassade [américaine à Paris] travaillait en liaison constante avec les grandes associations de l'industrie américaine du show business. Le vote de la loi Hadopi était pour elles une «priorité très importante», d'autant qu'elle pourrait servir d'exemple aux autres pays européens», expliquait en décembre 2010 Le Monde. Ce lobbying américain aura permis l'adoption d'un amendement atténuant un article de la loi «Création et Internet» de 2006 ne plaisant pas à la la BSA (Business Software Alliance).
Le gouvernement espagnol a plié sur le principe d'une loi luttant contre le piratage, mais a refusé d'appliquer le modèle français qui sanctionne l'internaute téléchargeur. La loi Sinde vise au contraire à faire bloquer l'accès des sites litigieux.
Le fonctionnement de la loi Sinde
Les ayants-droits souhaitant voir fermer un site hébergeant un contenu protégé doivent saisir la Commission de la Propriété Intellectuelle, qui dépend du ministère de la Culture. Cette Commission avertit l'administrateur et lui demande de le retirer. En cas de refus, un juge doit décider en moins de 4 jours le blocage ou non du site incriminé.
Dans la version originale du texte, la justice n'intervenait jamais dans ce processus. La mobilisation des internautes et de l'opposition a permis l'adoption d'amendements interdisant à la Commission d'ordonner de son propre chef le blocage d'un site internet.
Source: http://www.lefigaro.fr/hightech/2012/01/06/01007-20120106ARTFIG00499-l-espagne-adopte-sa-loi-hadopi-sous-la-pression-americaine.php
Par Chloé Woitier
Les internautes espagnols sont parmi les plus gros téléchargeurs d'Europe. Crédits photo : Abaca/Apaydin Alain/ABACA
Des documents officiels révélés par les médias espagnols dévoilent les menaces économiques opérées par les États-Unis pour que Madrid mette en application une loi sanctionnant les sites violant le droit d'auteur.
Alors que les internautes espagnols la croyaient morte et enterrée, la loi dite Sinde de lutte contre le téléchargement illégal entrera finalement en application à partir du mois de mars grâce au nouveau gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Un revirement de situation qui pourrait bien être dû au lobbying intensif de Washington, porte-voix de l'industrie américaine du cinéma et de la musique.
Le quotidien El Pais a en effet publié mercredi une lettre de l'ambassadeur américain à Madrid destinée à Jose Luis Zapatero, alors premier ministre socialiste en exercice, et envoyée en copie aux ministres de l'Intérieur, de la Culture et de la Justice. Datée du 12 décembre, la missive soulignait «la profonde inquiétude» des États-Unis face à «l'échec du gouvernement espagnol à aller jusqu'au bout dans ce dossier pour des raisons politiques, au détriment de la réputation de l'Espagne et de son économie». Quelques heures plus tôt, Jose Luis Zapatero avait annoncé qu'il avait renoncé à publier les décrets techniques permettant l'application de ce texte, pourtant voté par le Parlement et le Sénat. Le premier ministre avait justifié sa décision en évoquant des «divergences» de vue au sein du gouvernement et la «contestation massive» des internautes espagnols.
Menaces de sanctions commerciales
Le contenu de la lettre dévoilée par El Pais ne fait aucun doute quant à l'objectif des officiels américains: faire changer d'avis Zapatero avant que le Parti Populaire de Mariono Rajoy, qui s'était opposé à la loi Sinde avant de finalement la voter, n'accède au pouvoir fin décembre. Pour cela, l'ambassadeur américain a averti le chef du gouvernement espagnol que son pays risquait fort de se retrouver sur la «Priority Watch List» (liste de surveillance prioritaire) des «pires violateurs des droits de la propriété intellectuelle», où se trouve déjà la Chine, l'Inde ou la Russie. En clair, l'Espagne risquait de subir de très sérieuses sanctions commerciales de la part des États-Unis pour avoir refusé de mettre en application une législation anti-piratage.
Jose Luis Zapatero n'a pas répondu aux demandes américaines. Mais à peine arrivé au pouvoir, le gouvernement de son successeur, Mariano Rajoy, s'est empressé d'adopter les décrets techniques nécessaires. Les médias espagnols ont révélé que Mariano Rajoy avait reçu quelques heures auparavant une lettre de la Chambre de Commerce américaine en Espagne menaçant le pays de sanctions économiques.
Une loi écrite sous la pression américaine
Ces pressions américaines ne sont pas nouvelles. Les télégrammes diplomatiques américains révélés en 2010 par WikiLeaks démontrent que les États-Unis ont forcé la main du gouvernement espagnol afin d'obtenir une loi anti-piratage. Les grandes majors américaines de la culture et du divertissement voient en effet l'Espagne comme le mauvais élève de l'Union européenne. Selon une étude Nielsen, 45% des internautes espagnols pirateraient régulièrement des oeuvres soumises au droit d'auteur via les réseaux peer-to-peer, contre 23% dans les cinq principaux pays européens. Le réseau diplomatique américain se devait donc d'intervenir pour préserver les intérêts économiques de l'industrie du divertissement.
En 2008, l'ambassade américaine à Madrid a proposé «de dire au nouveau gouvernement [de Zapatero] que l'Espagne allait se retrouver sur la Watch List s'il ne s'engageait pas sur trois points d'ici octobre 2008», peut-on lire dans un câble diplomatique révélé par WikiLeaks. Ces points sont: «rappeler que le piratage sur Internet est illégal», «amender une circulaire de 2006 que beaucoup voient comme un texte rendant légal le partage de fichiers en peer-to-peer», et «annoncer que le gouvernement va adopter des mesures sur le modèle français ou britannique afin de faire baisser la courbe des téléchargements illégaux d'ici l'été 2009». Le projet de loi Sinde a été dévoilé par le gouvernement de José Luis Zapatero le 27 novembre 2009. D'autres télégrammes montrent que le gouvernement Zapatero a demandé l'aide des États-Unis pour persuader l'opposition d'adopter cette loi.
Hadopi, «une priorité très importante» pour l'industrie américaine
Les documents de WikiLeaks montrent que la diplomatie américaine a vanté la Hadopi française auprès des responsables espagnols. L'adoption de la loi française a en effet été suivie de très près par les Américains, si l'on en croit les télégrammes diplomatiques de WikiLeaks.
«L'ambassade [américaine à Paris] travaillait en liaison constante avec les grandes associations de l'industrie américaine du show business. Le vote de la loi Hadopi était pour elles une «priorité très importante», d'autant qu'elle pourrait servir d'exemple aux autres pays européens», expliquait en décembre 2010 Le Monde. Ce lobbying américain aura permis l'adoption d'un amendement atténuant un article de la loi «Création et Internet» de 2006 ne plaisant pas à la la BSA (Business Software Alliance).
Le gouvernement espagnol a plié sur le principe d'une loi luttant contre le piratage, mais a refusé d'appliquer le modèle français qui sanctionne l'internaute téléchargeur. La loi Sinde vise au contraire à faire bloquer l'accès des sites litigieux.
Le fonctionnement de la loi Sinde
Les ayants-droits souhaitant voir fermer un site hébergeant un contenu protégé doivent saisir la Commission de la Propriété Intellectuelle, qui dépend du ministère de la Culture. Cette Commission avertit l'administrateur et lui demande de le retirer. En cas de refus, un juge doit décider en moins de 4 jours le blocage ou non du site incriminé.
Dans la version originale du texte, la justice n'intervenait jamais dans ce processus. La mobilisation des internautes et de l'opposition a permis l'adoption d'amendements interdisant à la Commission d'ordonner de son propre chef le blocage d'un site internet.
Source: http://www.lefigaro.fr/hightech/2012/01/06/01007-20120106ARTFIG00499-l-espagne-adopte-sa-loi-hadopi-sous-la-pression-americaine.php