Pierre Rabhi : « L'humanité entière est invitée à imaginer l'avenir »
L'agriculteur-écologiste est convaincu que le monde moderne a fait
fausse route. Mais il veut croire qu'un changement est possible.
Pour l'écologiste Pierre Rabhi, « la gouvernance du monde n'est pas en
phase avec les réalités de l'Histoire ». (photo PHILIPPE DESMAZES/afp )
« Sud Ouest Dimanche ». La crise nous oblige-t-elle à penser l'avenir autrement ?
Pierre Rabhi. Plus que jamais. Nous sommes dans une
véritable impasse. Ce n'est pas la première fois que l'homme se trouve
face à des impasses. Mais, du fait de la mondialisation, c'est la
première fois que cette impasse est généralisée. C'est l'humanité tout
entière qui est invitée à se concerter pour imaginer l'avenir.
Ce qui se passe est sans précédent dans l'Histoire. Tout est parti de
l'idée que l'homme pouvait modifier le cours de l'Histoire. Plutôt que
de rester à sa place, il a voulu s'élever au rang d'un démiurge. Nous
sommes en train de constater que le choix n'a pas été le bon. Je ne
pense pas que nous puissions continuer sur cette voie.
En admettant que nous soyons bien dans une impasse, pensez-vous qu'il soit encore possible d'en sortir ?
Malheureusement, la conscience collective n'a pas atteint le niveau de
lucidité suffisant pour voir l'ensemble des phénomènes et se définir de
nouveaux objectifs. Nous vivons encore dans l'illusion selon laquelle
l'être humain va redresser la situation. Politiquement, nous faisons de
l'acharnement thérapeutique sur un modèle moribond. Il est dans cet état
parce qu'il est en dissonance et en contradiction avec les lois
fondamentales de la vie. Nous espérons toujours remettre sur les rails
le système que nous avons élaboré, mais ce n'est pas possible.
Quelle est cette loi fondamentale ?
Nous sommes dans un malentendu. Les religions ont une grande
responsabilité pour avoir instauré l'homme prince de la création. Les
Peaux-Rouges ne disent pas : « La Terre nous appartient. » Ils disent : «
Nous appartenons à la Terre. » Toutes les balivernes qu'on a inventées
ont donné un être humain arrogant. Les religions ont proclamé le
caractère sacré de la création. Je ne comprends pas qu'elles ne puissent
pas être les premières écologistes. Tous ces malentendus nous font
croire qu'il y a la nature et nous. Mais nous sommes nature. Le fait
d'être doté d'une pensée - pour le meilleur et pour le pire, d'ailleurs -
nous donne une spécificité, source d'angoisse ou de libération. Nous
avons laissé l'angoisse prendre le dessus parce que nous avons peur de
la vie et de la mort, et, d'une planète paradis, nous avons fait un
enfer.
N'avez-vous pas parfois l'impression de prêcher dans le désert ?
Souvent. Mais, aujourd'hui, il y a une écoute plus profonde. Parce que
nous sortons de cette griserie. Le modèle que l'on disait triomphant est
en train de se déliter lamentablement. La peur du lendemain ne cesse de
grandir. Nous nous rendons compte que nous sommes très, très faibles.
Nous bombons le torse avec nos innovations, nos machines et nos trucs.
Nous sommes sur une pyramide de milliards, mais ce n'est pas cela qui
nous rend plus heureux.
Comment définir le bonheur ?
Il n'y a rien de plus difficile à décrire. Ce que je dirai en tout
premier, c'est que le bonheur, ou la joie, cela ne s'achète pas.
Heureusement. Je voyage beaucoup pour faire connaître l'écologie ou
l'agroécologie. Quand je suis en Afrique, dans des villages reculés, je
vois des gens qui n'arrêtent pas de danser. Ils se retrouvent le soir
autour du feu pour bavarder au milieu des éclats de rire. On a
l'impression qu'ils goûtent chaque instant de la vie comme s'il était
précieux.
Quand je voyage dans le monde prospère, je vois des gens préoccupés
d'avaler des cachets pour lutter contre le stress, l'angoisse, etc. Bien
sûr, chaque être humain doit pouvoir se nourrir, s'habiller, s'abriter
et se soigner ou être soigné. C'est un impératif absolu, et tous ces
problèmes sont loin d'être résolus.
Le drame du monde moderne, c'est que l'indispensable n'est pas garanti
et le superflu n'a pas de limite. Qu'est-ce qui ruine la planète ? Ce
n'est certainement pas la nécessité. Je ne comprends pas pourquoi l'on
donne tant de valeur aux diamants, à l'or et à toutes ces choses. C'est
infantile. Tant que l'on continuera à donner à l'argent plus
d'importance qu'au destin collectif et à la nature, nous resterons dans
ces niaiseries-là.
Quelles sont, à vos yeux, les raisons d'espérer ?
La gouvernance du monde n'est pas en phase avec les réalités de
l'Histoire. Nous avons l'impression que l'on entretient coûte que coûte
un modèle en train de mourir. À côté de cela, heureusement, il y a une
réaction de la vie.
La vie réagit de différentes manières. Dans la nature, que j'adore au
plus profond de moi-même, je me rends compte de tous les stratagèmes
qu'elle peut mettre en place pour assurer le maintien de la vie. Souvent
je dis aux gens : prenez simplement une graine de tomate, regardez-la
bien, réfléchissez, méditez. Dans cette simple graine, il y a des tonnes
de tomates. C'est prodigieux. Comment peut-on justifier l'existence de
la faim dans le monde ?
La situation actuelle a provoqué une créativité humaine incroyable. Je
me réjouis de rencontrer des tas de gens qui me disent : « Je veux
construire ma maison pour qu'elle soit saine et écologique », « Moi, je
veux éduquer mes enfants autrement que dans cette stupidité de la
compétitivité qui les angoisse au lieu de les épanouir. » La société
civile est un vaste laboratoire d'expérimentation.
Le monde de demain est en gestation. Au lieu de dire : ce sont des
marginaux, il faut que ceux qui détiennent l'autorité considèrent enfin
que ce sont eux les créateurs, et pas les modèles asservis à l'argent.
sources : http://www.sudouest.fr/2012/01/01/l-humanite-entiere-est-invitee-a-imaginer-l-avenir-594027-706.php
1 janvier 2012
L'agriculteur-écologiste est convaincu que le monde moderne a fait
fausse route. Mais il veut croire qu'un changement est possible.
Pour l'écologiste Pierre Rabhi, « la gouvernance du monde n'est pas en
phase avec les réalités de l'Histoire ». (photo PHILIPPE DESMAZES/afp )
« Sud Ouest Dimanche ». La crise nous oblige-t-elle à penser l'avenir autrement ?
Pierre Rabhi. Plus que jamais. Nous sommes dans une
véritable impasse. Ce n'est pas la première fois que l'homme se trouve
face à des impasses. Mais, du fait de la mondialisation, c'est la
première fois que cette impasse est généralisée. C'est l'humanité tout
entière qui est invitée à se concerter pour imaginer l'avenir.
Ce qui se passe est sans précédent dans l'Histoire. Tout est parti de
l'idée que l'homme pouvait modifier le cours de l'Histoire. Plutôt que
de rester à sa place, il a voulu s'élever au rang d'un démiurge. Nous
sommes en train de constater que le choix n'a pas été le bon. Je ne
pense pas que nous puissions continuer sur cette voie.
En admettant que nous soyons bien dans une impasse, pensez-vous qu'il soit encore possible d'en sortir ?
Malheureusement, la conscience collective n'a pas atteint le niveau de
lucidité suffisant pour voir l'ensemble des phénomènes et se définir de
nouveaux objectifs. Nous vivons encore dans l'illusion selon laquelle
l'être humain va redresser la situation. Politiquement, nous faisons de
l'acharnement thérapeutique sur un modèle moribond. Il est dans cet état
parce qu'il est en dissonance et en contradiction avec les lois
fondamentales de la vie. Nous espérons toujours remettre sur les rails
le système que nous avons élaboré, mais ce n'est pas possible.
Quelle est cette loi fondamentale ?
Nous sommes dans un malentendu. Les religions ont une grande
responsabilité pour avoir instauré l'homme prince de la création. Les
Peaux-Rouges ne disent pas : « La Terre nous appartient. » Ils disent : «
Nous appartenons à la Terre. » Toutes les balivernes qu'on a inventées
ont donné un être humain arrogant. Les religions ont proclamé le
caractère sacré de la création. Je ne comprends pas qu'elles ne puissent
pas être les premières écologistes. Tous ces malentendus nous font
croire qu'il y a la nature et nous. Mais nous sommes nature. Le fait
d'être doté d'une pensée - pour le meilleur et pour le pire, d'ailleurs -
nous donne une spécificité, source d'angoisse ou de libération. Nous
avons laissé l'angoisse prendre le dessus parce que nous avons peur de
la vie et de la mort, et, d'une planète paradis, nous avons fait un
enfer.
N'avez-vous pas parfois l'impression de prêcher dans le désert ?
Souvent. Mais, aujourd'hui, il y a une écoute plus profonde. Parce que
nous sortons de cette griserie. Le modèle que l'on disait triomphant est
en train de se déliter lamentablement. La peur du lendemain ne cesse de
grandir. Nous nous rendons compte que nous sommes très, très faibles.
Nous bombons le torse avec nos innovations, nos machines et nos trucs.
Nous sommes sur une pyramide de milliards, mais ce n'est pas cela qui
nous rend plus heureux.
Comment définir le bonheur ?
Il n'y a rien de plus difficile à décrire. Ce que je dirai en tout
premier, c'est que le bonheur, ou la joie, cela ne s'achète pas.
Heureusement. Je voyage beaucoup pour faire connaître l'écologie ou
l'agroécologie. Quand je suis en Afrique, dans des villages reculés, je
vois des gens qui n'arrêtent pas de danser. Ils se retrouvent le soir
autour du feu pour bavarder au milieu des éclats de rire. On a
l'impression qu'ils goûtent chaque instant de la vie comme s'il était
précieux.
Quand je voyage dans le monde prospère, je vois des gens préoccupés
d'avaler des cachets pour lutter contre le stress, l'angoisse, etc. Bien
sûr, chaque être humain doit pouvoir se nourrir, s'habiller, s'abriter
et se soigner ou être soigné. C'est un impératif absolu, et tous ces
problèmes sont loin d'être résolus.
Le drame du monde moderne, c'est que l'indispensable n'est pas garanti
et le superflu n'a pas de limite. Qu'est-ce qui ruine la planète ? Ce
n'est certainement pas la nécessité. Je ne comprends pas pourquoi l'on
donne tant de valeur aux diamants, à l'or et à toutes ces choses. C'est
infantile. Tant que l'on continuera à donner à l'argent plus
d'importance qu'au destin collectif et à la nature, nous resterons dans
ces niaiseries-là.
Quelles sont, à vos yeux, les raisons d'espérer ?
La gouvernance du monde n'est pas en phase avec les réalités de
l'Histoire. Nous avons l'impression que l'on entretient coûte que coûte
un modèle en train de mourir. À côté de cela, heureusement, il y a une
réaction de la vie.
La vie réagit de différentes manières. Dans la nature, que j'adore au
plus profond de moi-même, je me rends compte de tous les stratagèmes
qu'elle peut mettre en place pour assurer le maintien de la vie. Souvent
je dis aux gens : prenez simplement une graine de tomate, regardez-la
bien, réfléchissez, méditez. Dans cette simple graine, il y a des tonnes
de tomates. C'est prodigieux. Comment peut-on justifier l'existence de
la faim dans le monde ?
La situation actuelle a provoqué une créativité humaine incroyable. Je
me réjouis de rencontrer des tas de gens qui me disent : « Je veux
construire ma maison pour qu'elle soit saine et écologique », « Moi, je
veux éduquer mes enfants autrement que dans cette stupidité de la
compétitivité qui les angoisse au lieu de les épanouir. » La société
civile est un vaste laboratoire d'expérimentation.
Le monde de demain est en gestation. Au lieu de dire : ce sont des
marginaux, il faut que ceux qui détiennent l'autorité considèrent enfin
que ce sont eux les créateurs, et pas les modèles asservis à l'argent.
sources : http://www.sudouest.fr/2012/01/01/l-humanite-entiere-est-invitee-a-imaginer-l-avenir-594027-706.php
1 janvier 2012